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ciple violent de saint Augustin, qui par instant, au génie près, rappelle la sombre pensée et l’amère invective de Pascal.

Tandis que l’on discutait sur la grace et sur saint Augustin, les barbares arrivent, et, au commencement du ve siècle, ils inondent les Gaules. Un reste de culture se défend et pour ainsi dire se débat encore contre la barbarie, non dans la partie du pays romain soumise aux Francs, contre ceux-ci il n’y a pour la civilisation aucune résistance possible, mais dans les provinces envahies par d’autres populations germaniques, moins étrangères et moins funestes à la civilisation.

Chez les Goths et chez les Burgondes, Avitus de Vienne, Césaire d’Arles, maintiennent quelque tradition de culture élégante, de littérature polie. Un homme élève la voix au milieu de ce débordement des barbares, c’est Salvien, qui gourmande le monde romain, et à ce monde qui, ainsi que le dit Salvien d’une manière sublime, veut mourir en riant, il parle comme on parlerait à un pécheur endurci au pied de l’échafaud ; Salvien s’élève quelquefois à la plus grande éloquence.

Chez les Francs, vient s’égarer un homme de culture latine, Fortunat, né en Italie, élevé à Ravenne, que son mauvais destin devait jeter entre Chilpéric et Frédégonde, et qui porte à la cour, si cour on peut dire, des barbares princes mérovingiens, les habitudes de son esprit classique, sa mythologie païenne et sa dévotion d’abbé chrétien.

Un personnage d’une autre trempe que Fortunat et son contemporain nous arrêtera plus que lui ; c’est l’Hérodote de la barbarie, Grégoire de Tours. Dans son livre, monument unique, la barbarie vit, respire, telle qu’elle a vécu et respiré ; on y contemple ce temps tel qu’il fut ; la Germanie et l’église sont là debout, l’une à côté de l’autre. L’histoire de Grégoire de Tours ressemble aux vitraux de l’église de Reims, dont chacun représente une figure d’évêque et une figure de roi, toutes deux de style barbare. Aussi, dans cette rude mais bien éloquente histoire, nous verrons se dérouler la barbarie tout entière ; puis la barbarie deviendra si grande qu’elle ne pourra plus se raconter elle-même, et la plume tombera des mains de Frédégaire par l’impuissance d’écrire. À cette époque si désastreuse, il ne reste qu’un seul asile à la civilisation ; si l’on peut en-