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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

que de prendre les rênes de l’état. Mais pourquoi M. de Toreno s’était-il porté solidaire des fautes de son prédécesseur ? Pourquoi avait-il accepté sans réserve sa dangereuse succession ? Il avait engagé lui-même sa responsabilité, il ne pouvait se plaindre si maintenant on le prenait pour victime expiatoire. Toutes les juntes, sans exception, demandaient son renvoi.

Cet épisode des juntes de 1835 est unique dans les fastes modernes ; l’histoire en sera curieuse à faire quelque jour. Mais il est deux faits qu’elles ont mis en lumière, et qu’il importe de signaler dès aujourd’hui. Jamais à aucun instant de leur dictature, et alors même que l’irritation était au comble, elles n’ont manifesté l’intention de rompre avec la capitale ni de se constituer indépendantes dans leurs provinces, d’où l’on doit conclure que l’unité gouvernementale est définitive en Espagne, et que le fédéralisme politique n’y est pas à craindre.

Le second fait à signaler est celui-ci : ce grand mouvement national n’a produit aucun nouveau nom, pas un homme n’a surgi du sein de ces anonymes tourmentes pour les baptiser. Faut-il pour cela désespérer de la révolution espagnole ? Au contraire, car cela prouve qu’elle n’est le patrimoine de personne, c’est-à-dire qu’elle est le patrimoine de tout le monde. On ne peut la tuer dans un homme. Elle n’est encore qu’à l’état d’instinct ; c’est la première phase de toute réformation sociale ; on a le sentiment des abus bien long-temps avant de les combattre ; puis la lutte commence, mais sourde, éparse, sans plan, sans système ; il y a des milliers de soldats obscurs avant qu’un général s’élance sur le pavois, et les domine tous.

La révolution espagnole n’en est guère, selon nous, qu’à cette première phase ; elle est dans l’air pour ainsi dire, on la respire, on la sent ; mais elle est vague encore, elle n’affecte pas de forme déterminée ; elle en poursuit une qui lui soit propre ; c’est une ame qui cherche un corps ; elle ne l’a pas trouvé. Les hommes du statut royal, ceux de l’opposition comme ceux du pouvoir, n’en sont qu’une personnification imparfaite ; elle aspire à s’individualiser d’une manière plus décisive et plus puissante. On ne saurait dès aujourd’hui prévoir toutes les vicissitudes par lesquelles elle passera dans l’avenir, ni les transformations qu’elle est destinée à subir ; mais on peut la tenir désormais pour invincible. Toutes