Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
REVUE DES DEUX MONDES.

Ce coup de dé semblait ruiner de fond en comble les affaires du prétendant, car Zumalacarreguy était son plus fort joueur ; ne voyant personne qui fût digne de prendre la place laissée vide par sa mort, on put croire la partie perdue. Elle ne l’était pas, elle devait se disputer long-temps encore.

L’échec n’en fut pas moins rude et la perte sentie. Zumalacarreguy était tout-à-fait l’homme de la faction ; elle s’était incarnée en lui, Il jouait alors en Navarre le même rôle que Mina y avait joué pendant la guerre de l’indépendance. Navarrais, comme lui, il connaissait le sol et l’habitant. Doué de cet esprit d’aventure qui fait les partisans, il se multipliait par une infatigable activité ; agile comme un enfant des montagnes, il était partout à la fois, et déconcertait l’ennemi par la rapidité de ses marches et l’audace de ses coups de main. Mais ce n’était pas seulement un homme d’inspiration, l’étude avait réglé ses instincts guerriers sans leur ôter rien de leur fougue ni de leur spontanéité. Avant qu’il eût passé du service de la reine, où il était colonel, dans le camp de don Carlos, on le tenait déjà pour un des bons officiers de l’armée espagnole.

Son humeur était dure ; mais son inflexible sévérité tourna au profit de la cause qu’il avait embrassée ; il établit et sut maintenir dans ses guerrillas indépendantes et vagabondes, une discipline qu’elles n’avaient jamais connue. Il en fit presque une armée. On lui reproche, il est vrai, des actes d’une férocité peu commune ; mais la férocité est le caractère de toute guerre civile, et sur ce sanglant terrain, les deux partis ont fait assaut ; ils n’ont rien à se reprocher l’un à l’autre.

Il est à remarquer que Zumalacarreguy est le seul homme qui se soit fait un nom européen dans la crise actuelle de la Péninsule ; il est dommage qu’il se le soit fait de l’autre côté. Au fond, c’était un condottier plus qu’un homme de principes ; il avait mis son épée au service du prétendant, comme Carmagnola avait mis la sienne au service de Venise. À quatre siècles de distance ce sont les mêmes mœurs. Il passa à don Carlos pour satisfaire une vengeance personnelle ; on raconte qu’étant en instance auprès du ministère de la guerre pour je ne sais quelle affaire, il y mettait de la suite et de la ténacité ; le ministre, qui était, je pense, M. Turco de Valle, s’impatienta ; on lui fit sentir dans les bureaux qu’il était importun. — « Je vais l’être bien davantage, » — répondit-il d’un