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l’inaptitude gouvernementale de M. Martinez de la Rosa. Il ne sut ni prévenir ni réprimer le désordre, et la vengeance qu’on en tira fut une barbarie et une criante iniquité. La victime expiatoire de ce grand attentat fut un malheureux jeune homme de dix-huit ans, dont tout le crime était d’avoir été surpris avec quelques vieilles hardes de moines et des images de saints. L’accusation n’articulait aucun autre fait à sa charge ; l’infortuné Joaquia Haro, c’était le nom de la victime, n’en fut pas moins étranglé sur la place de la Cebada, cinq mois après l’évènement, c’est-à-dire lorsqu’il était tout-à-fait oublié, et que l’exemple perdait par conséquent toute son efficacité présumée.

Quant au massacre, ce ne fut pas plus une affaire politique que les excès du même genre qui, à Paris, avaient signalé l’invasion du fléau. Les deux tragédies sont identiques ; l’une n’est pour ainsi dire que la reprise de l’autre ; celle de Madrid seulement fut plus meurtrière ; elle renferme de plus un enseignement profond et inattendu : c’est que les soupçons du peuple espagnol et ses coups soient tombés précisément sur les moines, que les moines aient été pour lui des empoisonneurs.

Ce fait, l’un des plus importans dont la Péninsule eût été de long-temps le théâtre, a jeté une lumière toute nouvelle sur l’état des croyances populaires au-delà des Pyrénées ; et quoique la question des cloîtres soit distincte de la question religieuse, en ce sens que le moine est investi du double attribut de la propriété temporelle et du sacerdoce spirituel, il n’en demeure pas moins constant que l’antique prestige a cessé dans la catholique Espagne comme ailleurs. Que si on objectait que c’est le propriétaire qui a succombé dans le prêtre, on pourrait répondre que le prêtre n’en a pas moins succombé dans le propriétaire ; c’est là qu’est la leçon.

Enfin, les cortès s’ouvrirent. Elles ont mis en lumière peu d’hommes nouveaux, elles n’en ont produit aucun qui ait éclipsé les anciens rois de la tribune espagnole ; le sceptre de l’éloquence est resté dans leurs mains ; personne ne le leur a enlevé ; à peine leur a-t-il été disputé. Et pourtant ces vieux champions de la parole ont reparu sur le champ de bataille, moins en soldats valides qu’en vétérans usés et fatigués des anciennes campagnes. Mais les combattans jeunes ont manqué. Le vide s’est fait sentir. On eût aimé quelques