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SHAKESPEARE.

Gaule franque plutôt qu’une véritable France ; la France ne commence à exister réellement que vers la fin de la période latine, vers l’avènement de la troisième race. J’ai cru qu’il y aurait quelque pédanterie à établir ces distinctions. L’usage a prononcé ; tout le monde appelle histoire de France une histoire qui embrasse une époque à laquelle ce titre ne saurait rigoureusement convenir, une époque gauloise, une époque gallo-romaine, telle que celle que nous traverserons d’abord. Il en est de même des autres pays ; il faudrait changer le titre d’une foule de livres. La Grèce ne s’est appelée ainsi que fort tard ; cependant, on ne se fait aucun scrupule d’employer ce nom pour des époques auxquelles il ne s’est pas appliqué réellement. Une autre critique que je ne crois pas plus fondée, mais qui pourrait sembler plus spécieuse, c’est celle qui porterait non plus sur le nom, mais sur l’objet même du cours. Il s’agit d’une histoire de la littérature française, me dira-t-on, et vous allez nous parler d’une époque dans laquelle il n’existe, de votre aveu, aucun monument français, mais seulement des monumens latins. À cela plusieurs réponses ; d’abord je pourrais alléguer des autorités imposantes. Tiraboschi, l’historien classique de la littérature italienne, a ainsi commencé avant l’époque où paraît la langue vulgaire. Les bénédictins, ont fait de même, et à tel point, vous le savez, qu’ils ont rempli douze volumes in-4o avant d’arriver aux premiers monumens français. Ne vous effrayez pas, ce ne sera pas dans la même proportion que nous procéderons ; nous n’avons pas l’honneur d’être bénédictin ni les droits que donne l’érudition attachée à ce nom. Vous n’avez peut-être pas la patience des bénédictins ou de leurs lecteurs. Ainsi nous serons plus brefs, et tandis que je consacrerai dans la suite à peu près un an à chaque siècle, une seule année suffira cette fois à onze ou douze siècles.

N’importe, ajoutera-t-on ; vous commencez avant le déluge. Eh bien ! oui, nous commencerons avant le déluge, et ceux qui parleraient ainsi, diraient plus vrai qu’ils ne penseraient dire ; nous commencerons avant ce déluge, cette inondation des barbares qui a tout noyé, excepté ce qui a surnagé sur l’abîme, ce qui a été sauvé dans l’arche miraculeuse de la civilisation moderne. Mais je ne vois pas un grand inconvénient à faire ainsi ; et l’histoire du genre humain ne serait pas fâchée d’avoir plus de monumens qu’elle n’en possède, antérieurs au déluge.