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SIMON.

— Quant à moi, je n’ai pas connu ses douleurs dans ma jeunesse, répondit Jeanne. J’aimai Pierre Féline, mon cousin, et je l’épousai. Nous étions pauvres tous deux ; j’étais une paysanne comme lui, il n’y eut ni obstacles, ni retards. Quand il est mort, j’étais vieille déjà ; alors j’étais habituée au malheur ; j’avais enterré successivement onze enfans, et sans mon Simon, je n’avais plus qu’à mourir. La douleur est le fait de la vieillesse ; je ne me révoltai pas d’être éprouvée après avoir été heureuse. Cependant, si j’étais appelée aujourd’hui à voir périr mon Simon, mon dernier bonheur, ma seule consolation !… ah ! Dieu me préserve seulement d’y songer !

— Et pourquoi auriez-vous cette affreuse pensée ? Simon est d’une bonne santé.

— Hélas ! pas trop !

— Mais il a la force d’ame qui commande au corps de vivre.

— Il n’a bien que trop de force d’ame comme cela ! elle le ronge ! Mais parlons de vous, Fiamma.

— Non, parlons de lui, mère Jeanne. Moi, je suis forte, bien portante, tranquille, délivrée de mon cousin ; occupons-nous de Simon. Il est parti triste, j’ai vu cela ces jours-ci. Je ne vous demande pas ce qu’il avait ; je m’en doute.

— Vous vous en doutez ? s’écria Jeanne en relevant sa tête inclinée par l’âge, et en fixant ses yeux encore vifs et beaux sur Fiamma.

— Sans doute, répondit la jeune hypocrite, je sais combien sa profession lui est antipathique, et je sais pourtant qu’il n’y a plus à reculer. Il m’a confié ses dégoûts, ses ennuis, ses craintes pour l’avenir…

— En effet, c’est là ce qui le tourmente, répondit Jeanne, et je suis fâchée qu’il ne vous ait pas parlé avant de partir ; mais il avait tant de chagrin de nous quitter, qu’il a craint de manquer de force s’il nous faisait des adieux.

— Je comprends tout cela, reprit Fiamma ; cependant je trouve qu’il est parti un peu brusquement ; je lui aurais donné du courage s’il m’eût consultée.

— Oui, certes, dit Jeanne, s’il vous eût vue aujourd’hui, il serait parti moins malheureux.

— Il faudra qu’il revienne causer avec nous, dit Fiamma, mais pas avant quelques jours, afin de ne pas perdre le fruit de ce grand effort. En attendant, ne pourriez-vous lui écrire, mère Féline ?