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SIMON.

avaient achevé de le désespérer ; il craignait à chaque instant qu’elle ne le compromît ; il rougissait d’elle, et ne la comprenant nullement, il la regardait sincèrement comme une folle du genre sérieux et spleenétique.

Alors il n’avait plus désiré que de s’en défaire à tout prix, pourvu toutefois que son gendre futur eût assez de fortune ou assez d’amour pour ne pas lui demander une dot considérable, et pourvu surtout que sa naissance fut assez élevée pour ne porter aucune atteinte au blason de Fougères. Le comte faisait en réalité très peu de cas de la noblesse ; il ne comprenait nullement le parti poétique et chevaleresque que la vanité peut en tirer. Mais comme à cette époque c’était le premier point pour parvenir, comme d’ailleurs le comte n’avait pas d’autre titre à la faveur royale que sa naissance et sa qualité d’émigré, il eût mieux aimé garder sa fille toute sa vie auprès de lui que de la donner à un roturier.

Malheureusement cette fille était majeure, et avec les singularités de son humeur et l’audace tranquille de ses résolutions, il était à craindre qu’elle ne fît un choix étrange. Son père avait frémi de la voir liée si étroitement à la famille Féline. Il avait eu avec elle à ce sujet une seule explication, à la suite de laquelle il s’était résigné, comme par miracle, à la laisser maîtresse de ses actions, et même à faire un accueil obligeant à ses nouveaux amis. Mais depuis, cette intimité lui avait donné de nouvelles inquiétudes, et le bon accueil que Fiamma avait fait à son cousin l’avait soulagé à temps d’une grande anxiété. Soit que le marquis d’Asolo, abjurant ses opinions, se fixât en France et se rattachât aux principes de la cour, soit qu’il retournât faire de la république en Italie et reconquérir les priviléges de la seigneurie vénitienne, c’était un beau parti pour l’ambition, et de plus un prompt moyen de se délivrer de celle qu’en public le comte appelait sa fille chérie, affectant de la consulter sur tout, et de rechercher sans cesse son approbation, quoique en réalité tous les sacrifices de sa tendresse paternelle se fussent bornés à contracter l’innocente habitude de finir toutes ses dissertations par ces trois mots : Non è vero, Fiamma ?

Lorsqu’il vit le marquis d’Asolo si brusquement éconduit, il entra dans un de ces accès de violence dont les gens du dehors ne l’eussent jamais cru capable, mais devant lesquels sa maison avait souvent l’occasion de trembler. Il appela sa fille au moment où le cousin s’é-