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xii.

Le plus grand désir du comte de Fougères, depuis qu’il avait sa fille auprès de lui, c’était de s’en débarrasser. Il semblait que la destinée capricieuse, jalouse d’opérer dans cette famille le contraste le plus complet, eût imposé à la fille la haine du mariage en raison inverse de l’impatience que le père éprouvait de la voir établie. Outre les raisons mystérieuses que M. Parquet cherchait à déduire de cette manie réciproque, il en existait de bien palpables, et qui, prenant leur source dans le caractère de l’un et de l’autre, suffisaient presque pour l’expliquer. M. de Fougères était de la véritable race des avares. Son intelligence n’était développée que sous la face de l’habileté et de l’activité en affaires ; et la seule vanité qu’il eût, c’était celle d’être riche. Il n’appliquait pas trop cette vanité aux menus détails de la vie, et l’économie se faisait remarquer dans toutes ses habitudes. Son point d’honneur était d’avoir toujours à sa disposition des sommes considérables pour tenter des coups de fortune, et de savoir doubler à point son enjeu dans les calculs de la finance. C’est ainsi qu’il n’avait pas hésité à abjurer son patriciat lorsque les chances de la destinée lui avaient fait entrevoir le succès dans le négoce ; c’est ainsi qu’il venait d’abjurer le négoce pour reprendre le patriciat en voyant la fortune sourire de nouveau à cette classe disgraciée. Il avait compté qu’un titre et un château le mettraient à même de briguer toutes les faveurs de la nouvelle cour de France. Ensuite il calcula qu’une belle fille étant un fonds de commerce, c’était bien long-temps le laisser dormir, et qu’un gendre influent par sa naissance pourrait l’aider dans son ambition. C’était dans ces idées qu’il s’était souvenu de sa fille, à peu près oubliée en Italie, et que, rendant grâce au caprice qui lui avait fait aimer le célibat jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, il l’avait rappelée auprès de lui, et l’avait produite à Paris dans les salons du faubourg Saint-Germain. Mais quand il vit que ce caprice était insurmontable, il éprouva beaucoup de regret d’avoir sur les bras une personne qu’il connaissait à peine, et dont le caractère inflexible et les idées absolues lui étaient un continuel sujet de malaise et de contrariété. Les opinions républicaines de cette enfant enthousiaste