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Il en est tout autrement des maladies que la nature seule développe. Celles-là, nulle combinaison humaine ne peut les enfanter quoi qu’on fasse, on ne déterminera jamais une petite vérole sur un individu. La peste ni le choléra n’ont pas leur origine dans des circonstances que l’art des hommes puisse préparer. Là, tout est invisible, mystérieux ; là, tout est produit par des puissances dont les effets seuls se révèlent.

Autre point à distinguer : parmi les maladies épidémiques, les unes occupent le monde et en désolent presque toutes les parties, les autres sont limitées à des espaces plus ou moins étendus. Les premières peuvent, par une hypothèse assez plausible, être rattachées à des modifications intestines de la terre elle-même, considérées comme des causes dont les races humaines sont les seuls réactifs ; les autres ont un théâtre trop restreint pour qu’il soit permis d’admettre une explication aussi générale pour des faits aussi particuliers. Alors l’origine doit en être cherchée, soit dans des circonstances locales d’humidité, de marécages, de matières animales ou végétales en décomposition, ou bien dans des changemens que le genre de vie des hommes éprouve. L’antiquité usait de beaucoup de mets qui sont tombés en désuétude ; nous, de notre côté, nous avons des alimens que nos aïeux ne connaissaient pas. L’uniformité dans ces maladies tient, pour une grande part, à l’uniformité dans le vivre. Il n’est pas indifférent d’avoir une bonne ou une mauvaise nourriture, de se vêtir bien ou de se vêtir mal, d’habiter des villes bien aérées et bien nettoyées, ou des rues étroites, humides et sales. Or, comme tout cela change de pays à pays, et pour un même lieu, de siècle à siècle, il n’est pas étonnant qu’il survienne des changemens dans la santé des hommes.

Un des exemples les plus remarquables de ces maladies locales, dues à des influences locales et néanmoins souvent ignorées, est la maladie des pieds et des mains qui a régné à Paris en 1828, et qui a reçu en médecine le nom grec d’acrodynie. Ce fut une chose singulière de voir affluer dans les hôpitaux une foule de personnes saisies de douleurs plus ou moins vives aux mains et surtout aux pieds. Ces parties prenaient une coloration rougeâtre ; les malades n’en pouvaient faire aucun usage, et dans quelques cas la mort même a été la suite de cette affection. Plusieurs casernes, entre autres, comptèrent un grand nombre de malades. Ce mal, inconnu jusqu’alors, et qui ne ressemblait à rien de ce que les médecins voyaient journellement ou de ce que les auteurs avaient décrit, disparut subitement comme il était venu, et depuis il n’en a plus été question. Un médecin qui s’est occupé avec une grande distinction des maladies de la peau, M. Rayer, l’a rapproché avec sagacité de la pellagre, autre affection singulière dont je ne puis me dispenser de dire un mot ici.