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d’armes, et Thomas Schmoucker décapitant lui-même de sang-froid son frère Lienhard, comme une victime expiatoire pour les péchés du monde !

La scission religieuse amène une désolation générale dans cette contrée, naguère si unie et si forte, et les prédications, les libelles, les luttes des deux partis, ne font qu’envenimer la plaie. Puis vient la guerre de trente ans, puis le soulèvement du peuple contre les familles puissantes des divers cantons, et quand le premier cri de notre révolution retentit au-delà du Jura, Lausanne, Vaud, Bâle, Fribourg, étaient déjà en insurrection.

Veut-on voir tous ces faits retracés avec enthousiasme, et cependant avec une grande vérité, il faut lire les chants de guerre de la Suisse. C’est là son histoire détaillée et complète, histoire qui suppléerait au besoin à celle de L. Meyer, de Zschokke ou de Jean de Müller…

Ces chants embrassent un espace de plus de quatre siècles, depuis le commencement du xiiie jusqu’à la fin du xviie. Il en existe un très grand nombre, sur chaque circonstance grave, sur chaque bataille[1]. La plupart sont encore inédits. D’autres ont paru dans divers recueils. J. de Müller en cite plusieurs dans son ouvrage, et Diebold Schilling a le premier publié ceux de son contemporain Veit-Weber[2].

Tous ces chants sont écrits dans l’ancien dialecte suisse. Les poètes allemands modernes ont voulu quelquefois les rajeunir, et n’ont fait souvent que les gâter[3]. Le style de ces chants est essentiellement simple, naïf, un peu rude, un vrai style de chronique crédule et conteuse. Ce qui échauffe le cœur de ces anciens poètes, c’est le patriotisme, c’est la liberté ; on voit qu’ils sont tous animés de ce sentiment que leur vieux Boner de Berne a chanté : « La liberté orne la vie ; la liberté nous donne la joie et le courage. Elle ennoblit l’homme et la femme, elle enrichit le pauvre. La liberté est le trésor de l’honneur, c’est elle qui couronne la parole et l’action. »

Tous ces hommes chantent pour célébrer les combats qu’ils ont soutenus, et la victoire qu’ils ont remportée. Leur but n’est point de faire de beaux

  1. M. Wyss, professeur à Berne ; auteur d’un recueil de légendes suisses très estimé, avait rassemblé ces chants populaires, et en avait déjà formé un manuscrit de quatre volumes in-folio. La mort est venue le surprendre avant que sa collection fût complètement achevée.
  2. Description des guerres avec la Bourgogne, et d’autres évènemens remarquables de la Suisse. Berne, 1743 ; in-folio.
  3. J’en excepterai M. E. Rochholz, qui vient de publier à Berne, sous le titre de Eidgenossische Lieder-Chronik, un recueil de chants populaires suisses. Il a, il est vrai, rajeuni et quelquefois abrégé ces anciens poèmes, mais toujours avec beaucoup de goût. Ce recueil est d’ailleurs très recommandable par les notes historiques et bibliographiques qui y sont jointes.