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CHANTS DE GUERRE DE LA SUISSE.

civiles éclatent, la voilà qui se met en campagne et harcèle de ses flèches le camp ennemi[1]. Plébéienne de naissance, elle a un instinct de popularité qui ne la trompe pas. Du milieu des châteaux où elle est appelée à comparaître, elle tourne encore ses regards vers la chaumière où elle est née. Elle a beau faire vibrer sa lyre au milieu des assemblées de princes et de chevaliers, son allure est plus libre et plus franche quand elle redescend les degrés de marbre du palais, pour chanter sous le tilleul où se réunissent les paysans. Elle se prête, pour un manteau de velours, pour une chaîne d’or, aux fêtes des grands ; mais elle se donne tout entière aux larmes du peuple. Si vous la cherchez dans les temps de calme, vous la trouverez peut-être nonchalamment penchée sur le fauteuil de la châtelaine ; si vous la cherchez dans les jours d’orage, vous la verrez courir à la hâte au milieu de la foule, prendre parti pour la majorité faible et opprimée, contre une minorité active et puissante, et sur cette même lyre qui n’exhalait que des sons si plaintifs et si tendres, faire vibrer tout à coup un accent mâle et énergique. Ainsi voyez : en Angleterre, elle se fait Anglo-Saxonne, et attaque, sous le nom de Robin-Hood, les shérifs normands[2] ; en France, elle s’en prend à toute heure aux vices des grands et aux vices du clergé ; en Allemagne, elle s’élance au milieu de la guerre des paysans et soutient les idées de liberté religieuse ; en Hollande, elle est du parti des gueux pour combattre le despotisme de l’Espagne ; en Espagne, c’est elle qui répond aux demandes d’impôts d’Alphonse viii : La liberté ne se vend à aucun prix.


El bien de la libertad
For ningun precio es comprado[3].


En Suisse, c’est elle qui soutient les confédérés contre la domination de l’Autriche et les prétentions hautaines des nobles ; car toute cette poésie, c’est l’image du peuple, c’est le peuple ingénieux et crédule, naïf et subtil, amoureux des idées superstitieuses, et accessible aux idées vraies ; le peuple qui se soumet, tout en rêvant à son affranchissement, le peuple pélerin et guerrier, d’abord serf, puis homme libre, puis homme fort ; d’abord caché derrière la tourelle du château, les murs de l’abbaye, et grandissant en silence jusqu’à ce qu’un jour il se lève et prenne la place de ses anciens comtes au château, de ses anciens prieurs à l’abbaye.

  1. Au temps de la réformation, la poésie populaire renferma souvent la polémique des divers partis.
  2. Dissertation sur le cycle populaire de Robin-Hood, par Edw. Barry. Paris, 1832.
  3. Romance d’Alphonse viii. Depping, p. 193.