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punir, s’il l’eût trouvée habile en coquetterie ; mais quand il la vit si différente de ce qu’il l’avait jugée de loin, quand il la trouva si forte, si prudente, si fière, et en même temps si bonne, si franche et si naïve, il en devint éperduement amoureux, et au bout de huit jours passés près d’elle, il lui eût offert, s’il l’eût osé déjà, son nom et sa fortune, son sang et sa vie. Cette facilité à se prendre à l’amour, est le beau côté des ames que le vice entraîne facilement. Elle est plus remarquable en Italie, où les organisations plus fécondes et plus mobiles passent du plaisir grossier à l’exaltation romanesque, comme de l’apathie politique à l’héroïsme, avec une promptitude et une bonne foi extraordinaires. Ces ames ont plusieurs caractères opposés qui vivent dans le même être en bonne intelligence, chacun régnant à son tour. Asolo avait fait assez bon marché de son républicanisme dans le beau monde de Paris. Il l’avait un peu traité comme un habit de parade qui, n’étant pas de mode à l’étranger, devait être remplacé par le costume de bon ton du pays ; mais quand il vit Fiamma si ardente et si romanesque sur ce chapitre, il reprit l’habit ultramontain, et les principes républicains retrouvèrent de l’éloquence dans sa bouche, grâce à cette belle langue italienne où les lieux communs ont encore de la pompe, et de la grandeur.

Dans les premiers jours, il adopta ce rôle pour lui plaire ; mais avant la fin de la semaine, il était aussi convaincu que déclamatoire, et sans aucun doute il eût sacrifié son marquisat de Vénétie et versé tout son sang pour un regard de son héroïne.

Fiamma, confiante et bonne pour ceux qui semblaient penser comme elle, crut le voir à son état normal, et le prit en grande amitié. Cependant elle la lui eût fait acheter par quelque malice, si elle eût connu sa conduite antérieure dans les salons parisiens.

Le comte de Fougères, enchanté de son allié, le premier jour, en rabattit beaucoup lorsque cette explosion de patriotisme eut lieu. Il craignit que cet insensé ne le discréditât complètement, d’autant plus que, pour plaire à sa cousine, le Lombard affecta de terrasser le préfet et le receveur-général dans un déjeuner orageux où le bon vin aida à son éloquence. Les vulgaires amis du pouvoir ont ce bonheur inappréciable qu’entre eux ils se craignent, se regardent comme tous également capables de dénonciation. Le comte devint pâle comme la mort. Il était porté comme candidat à la