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SHAKESPEARE.

femme, Catherine Salazor y Palacios, un dévidoir, un poëlon de fer, trois broches, une pelle, une râpe, une vergète, six boisseaux de farine, cinq livres de cire, deux petits escabeaux, une table à quatre pieds, un matelas garni de sa laine, un chandelier de cuivre, deux draps de lit, deux enfans Jésus avec leurs petites robes et leurs chemises, quarante-quatre poules et poulets avec un coq. Il n’y a pas aujourd’hui si mince écrivain qui ne crie à l’injustice des hommes, à leur mépris pour les talens, s’il n’est gorgé de pensions dont la centième partie aurait fait la fortune de Cervantes et de Shakespeare : le peintre du fou du roi Lear alla donc, en 1616, chercher un monde plus sage avec le peintre de Don Quichotte, dignes compagnons de voyage.

Corneille était venu pour les remplacer dans cette famille cosmopolite de grands hommes dont les fils naissent chez tous les peuples, comme à Rome les Brutus succédaient aux Brutus, les Scipion aux Scipion. Le chantre du Cid, enfant de six ans, vit les derniers jours du chantre d’Othello, comme Michel-Ange remit sa palette, son ciseau, son équerre et sa lyre à la mort, l’année même où Shakespeare, le cothurne au pied, le masque à la main, entra dans la vie, comme le poète mourant de la Lusitanie salua les premiers soleils du poète d’Albion. Lorsque le jeune boucher de Stratford, armé du couteau, adressait, avant de les égorger, une harangue à ses victimes, les brebis et les génisses, Camoëns faisait entendre au tombeau d’Inès, sur les bords du Tage, les accens du Cygne :

« Depuis tant d’années que je vous vais chantant, ô nymphes du Tage, ô vous, Lusitaniens, la fortune me traîne errant à travers les malheurs et les périls, tantôt sur la mer, tantôt au milieu des combats ......, tantôt dégradé par une honteuse indigence, sans autre asile qu’un hôpital ...... Poètes ! Vous donnez la gloire ; en voilà le prix ...
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Vaô os annos descendò, e jà do Estio
Ha pouco que passar até o Outono. etc.


Mes années vont déclinant ; avant peu j’aurai passé de l’été à l’automne. Les chagrins m’entraînent au rivage du noir repos et de l’éternel sommeil. »