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SIMON.

sans oser toucher aux doigts de son institutrice ; Mlle Parquet, assise sur le buffet, lisait tout haut le livre de Ruth dans la vieille bible de la famille Féline, dont le caractère était si fin, que Jeanne ne pouvait plus le distinguer. Quant à Mlle de Fougères, fatiguée d’une course rapide qu’elle avait faite avec Sauvage dans la matinée, elle s’était assise sur une botte de pois secs, aux pieds de Jeanne, et cédant au bien-être que lui apportaient la fraîcheur, le repos, le bruit monotone et doux de la voix qui lisait, elle s’était laissée aller au sommeil. Jeanne, semblable à la vieille Noëmi, avait attiré sur ses genoux la tête de cette fille chérie, et chassait avec tendresse les insectes dont le bourdonnement eût pu la tourmenter. Simon entra dans ce moment. Il arrivait de Nevers ; on ne l’attendait pas encore. Il fit un pas et resta immobile. Le soleil glissant à travers le feuillage de la croisée, et tombant en poussière d’or sur le front humide et sur les cheveux de jais de Fiamma, lui montra d’abord le dernier objet qu’il dût s’attendre à rencontrer dans sa cabane et sur le giron de sa mère. Il venait de faire bien des efforts depuis trois mois pour chasser de son ame l’image de cette femme, et c’était là qu’il la retrouvait ! Il crut rêver, resta quelques instans sans pouvoir articuler un mot ; et enfin, joignant les mains, il murmura une parole que ni sa mère ni Bonne ne pouvaient comprendre. O fatum ! Fiamma reconnut sa voix et n’ouvrit pas les yeux. Ce fut le premier artifice de sa vie.

L’amour n’est que magie et divination. Elle vit à travers ses paupières abaissées et frémissantes de curiosité, l’émotion et la joie mêlée de consternation qu’éprouvait Simon. Mme Féline, poussant un cri de joie, avait tendu ses bras à son fils. Fiamma, l’entendant s’approcher, jugea qu’il était temps de se réveiller ; elle prit le parti de soulever sa tête et de se frotter les yeux pendant qu’il embrassait sa mère. — Oh ! dit la bonne femme, vous voilà un peu étonné, Simon ! vous me pensiez trop vieille pour avoir d’autres enfans que vous, et pourtant, voilà que je suis devenue mère de deux filles en votre absence.

— Vous êtes heureuse, ma mère, répondit-il ; mais moi, me voilà humilié, car je ne suis pas digne d’être leur frère.

— Je ne sais pas si Bonne est superbe à ce point de ne vouloir pas reconnaître votre parenté, dit Mlle de Fougères en lui tendant la main, mais, quant à moi, j’avais déjà signé avec vous un pacte de