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SHAKESPEARE.

des barricades, l’égorgement des deux Guise à Blois, la mort d’Henri iii à Saint-Cloud, les fureurs de la Ligue, l’assassinat d’Henri iv, variaient sans cesse les émotions d’un poète qui vit se dérouler cette longue chaîne d’évènemens. Les soldats d’Élisabeth, le comte d’Essex lui-même, mêlés à nos guerres civiles, combattirent au Hâvre, à Ivry, à Rouen, à Amiens : quelques vétérans de l’armée anglaise pouvaient conter au foyer de William, ce qu’ils avaient su de nos calamités et de nos champs de bataille.

C’était donc le génie même de son temps qui soufflait à Shakespeare son génie. Les drames innombrables joués autour de lui préparaient des sujets aux héritiers de son art : Charles ix, le duc de Guise, Marie Stuart, don Carlos, le comte d’Essex, devaient inspirer Schiller, Ottway, Alfieri, Campistron, Thomas Corneille, Chénier, Reynouard.

Shakespeare naquit entre la révolution religieuse, commencée sous Henri viii, et la révolution politique prête à s’opérer sous Charles Ier. Tout était meurtre et catastrophes au-dessus de lui ; tout fut meurtre et catastrophes au-dessous. Shakespeare, dans sa jeunesse, rencontra de vieux moines, chassés de leurs cloîtres, lesquels avaient vu Henri viii, ses réformes, ses destructions de monastères, ses fous, ses épouses, ses maîtresses, ses bourreaux ; lorsque le poète quitta la vie, Charles Ier comptait seize ans. Ainsi, d’une main, Shakespeare avait pu toucher les têtes blanchies que menaça le glaive de l’avant-dernier des Tudor ; de l’autre, la tête brune du second des Stuarts, que peignit Van-Dyck, et que la hache des parlementaires devait abattre. Appuyé sur ces fronts tragiques, le grand Tragique s’enfonça dans la tombe ; il remplit l’intervalle des jours où il vécut, de ses spectres, de ses rois aveugles, de ses ambitieux punis, de ses femmes infortunées, afin de joindre, par des fictions analogues, les réalités du passé aux réalités de l’avenir.

POÈTES ET ÉCRIVAINS CONTEMPORAINS DE SHAKESPEARE.

Jacques Ier gouverna entre l’épée qui l’avait effrayé dans le ventre de sa mère et l’épée qui fit mourir mais ne fit pas trembler son fils. Son règne sépara l’échafaud de Fotheringay de celui de White-Hall ; espace obscur où s’éteignirent Bacon et Shakespeare.