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SIMON.

Simon pensait qu’il y a bien des manières d’être orateur, et que, malgré les systèmes arrêtés de M. Parquet sur la forme et sur le fond, chaque homme doué de la parole a en soi ses moyens de conviction et ses élémens de puissance propres à lui-même. Ennemi né des discussions inutiles, il écoutait les leçons et les préceptes de son vieil ami avec le respect de la jeunesse et de l’affection, mais il notait, dans le secret de sa raison, les objections qu’il eût faites à un disciple, et renfermait le secret de sa supériorité autant par prudence que par modestie. Une seule fois il s’était laissé aller à discuter un point de droit public, et Parquet, frappé de la hardiesse de ses opinions, s’était écrié :

— Diable ! mon cher ami, quand on pense ainsi, il ne faut pas le dire trop tôt. Avant de faire le législateur, il faut se résoudre à être légiste. Si un homme célèbre se permet de censurer la loi, on l’écoute ; mais si un enfant comme vous s’en avise, on se moque de lui.

— Vous avez raison, répondit Simon ; et il se tut aussitôt.

Cependant, décidé à ne pas suivre une routine pour laquelle il ne se sentait pas fait, il voulait se laisser mûrir autant que possible. Rien ne le pressait plus de se lancer dans la carrière, maintenant qu’il était reçu avocat, qu’il n’avait plus de dépense à faire, et qu’il était sûr de s’acquitter quand il voudrait. D’ailleurs, il travaillait à faire des extraits, des recherches et des analyses, pour aider M. Parquet dans son travail, et celui-ci s’en trouvait si bien, qu’il était obligé de faire un effort de générosité et de désintéressement pour l’engager à travailler pour son propre compte. Durant cet hiver, qui fut assez doux pour le climat, Simon eut soin d’éviter la rencontre du comte de Fougères. Malgré les prévenances dont l’accablait ce gentilhomme, il ne sentait aucune sympathie pour lui. Il y avait dans son extérieur une absence de dignité qui le choquait plus que n’eût fait la morgue seigneuriale d’un vrai patricien. Il lui semblait toujours voir, dans les concessions libérales de son langage et dans la politesse insinuante de ses manières, la peur d’être maltraité dans une nouvelle révolution, et d’être forcé de retourner à son comptoir de Trieste.

Mlle de Fougères menait une vie assez étrange pour une jeune personne. Elle semblait aimer la solitude passionnément, ou goûter fort peu la société de la province. Du moins elle ne paraissait dans le salon de son père que le temps strictement nécessaire pour en