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SIMON.

lui adressa la parole dans le patois des montagnes, pour lui faire cette question dont Simon resta stupéfait :

— Mille pardons, si je vous dérange, monsieur ; mais n’êtes-vous pas un parent de feu le digne abbé Féline ?

— Je suis son neveu, répondit Simon en français ; car le patois marchois ne lui était déjà plus familier, après quelques années de séjour au dehors.

— En ce cas, monsieur, dit l’étranger, parlant français à son tour sans le moindre accent ultramontain, permettez-moi de presser votre main avec une vive émotion. Votre figure me rappelle exactement les nobles traits d’un des hommes les plus estimables dont notre province honore la mémoire. Vous devez être le fils de… Permettez que je recueille mes souvenirs… Après un moment d’hésitation, il ajouta : Vous devez être un des fils de sa sœur ; elle venait de se marier, lorsque le règne de la terreur me chassa de mon pays.

— Je suis le dernier de ses fils, répondit Simon, de plus en plus étonné de la prodigieuse mémoire de celui qu’il reconnaissait devoir être le comte de Fougères, et il en était presque touché, lorsque la pensée lui vint que le comte ayant déjà pu prendre des renseignemens de M. Parquet sur les personnes du village, il pouvait bien y avoir un peu de charlatanisme dans cette affectation de tendre souvenance. Alors, ramené au sentiment d’antipathie qu’il avait pour tout objet d’adulation, et retirant sa main qu’il avait laissé prendre, il salua et tenta encore de s’éloigner.

Mais M. de Fougères ne lui en laissa pas le loisir. Il l’accabla de questions sur sa famille, sur ses voisins, sur ses études, et parut attendre ses réponses avec tant d’intérêt, que Simon ne put jamais trouver un instant pour s’échapper. Malgré ses préventions et sa méfiance, il ne put s’empêcher de remarquer dans ce bavardage une naïveté puérile qui ressemblait à de la bonhomie. Il acheva de se réconcilier avec lui, lorsque le comte lui dit qu’il était parti de la ville, à cheval, aussitôt après la signature du contrat, afin d’éviter les honneurs solennels qui l’attendaient sur son passage. — Le bon M. Parquet m’a dit, ajouta-t-il, que ces braves gens voulaient faire des folies pour nous. Je pensais qu’en arrivant plusieurs jours plus tôt qu’ils n’y comptaient, j’échapperais à cette ovation ridicule ; mais avant de serrer la main de mes anciens amis, je n’ai pu résister au