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SIMON.

aimé que Simon soutînt cette petite guerre, que de ne pas comprendre l’intérêt qu’elle y mettait. Elle n’avait pas assez de vivacité dans l’esprit pour continuer sur ce ton, et pour réparer son étourderie par une plaisanterie quelconque. Elle se troubla, et lui dit adieu en frappant le flanc de son cheval avec une branche de peuplier qui lui servait de cravache. Simon la suivit des yeux quelques minutes avec surprise, puis haussant les épaules comme un homme qui s’aperçoit de l’emploi puéril de son temps et de son attention, il reprit en sifflant le cours de sa promenade solitaire. La pauvre Bonne avait eu un instant de joie et de confiance imprudente. Elle l’avait cru jaloux, en le voyant blâmer son empressement d’aller recevoir M. de Fougères ; mais d’ordinaire elle s’apercevait vite, après ces lueurs d’espoir, qu’elle s’était abusée, et que Simon n’était pas même occupé d’elle.

La Marche est un pays montueux qui n’a rien de grandiose, mais dont l’aspect, à la fois calme et sauvage, m’a toujours paru propre à tenter un ermite ou un poète. Plusieurs personnes le préfèrent à l’Auvergne en ce qu’il a un caractère plus simple et plus décidé. L’Auvergne, dont le ciel me garde d’ailleurs de médire ! a des beautés un peu empruntées aux Alpes, mais réduites à des dimensions trop étroites pour produire de grands effets. Le pays Marchois, son voisin, a, si je puis m’exprimer ainsi, plus de bonhomie et de naïveté dans son désordre : ses montagnes de fougères ne se hérissent pas de roches menaçantes ; elles entrouvrent çà et là leur robe de verdure pour montrer leurs flancs arides que ronge un lichen blanchâtre. Les torrens fougueux ne s’élancent pas de leur sein, et ne grondent pas parmi les décombres ; de mystérieux ruisseaux, cachés sous la mousse, filtrent goutte à goutte le long des parois granitiques et s’y creusent parfois un bassin qui suffit à désaltérer la bécassine solitaire, ou le vanneau à la voix mélancolique. Le bouleau alonge sa taille serrée dans un étui de satin blanc, et balance son léger branchage sur le versant des ravins rocailleux ; là où la croupe des collines s’arrondit sous le pied des pâtres, une herbe longue et fine, bien coupée de ruisseaux et bien plantée de hêtres et de châtaigniers, nourrit de grands moutons très blancs et couverts d’une laine plate et rude, des poulains trapus et robustes, des vaches naines fécondes en lait excellent. Dans les vallées, on cultive l’orge, l’avoine et le seigle ; sur les monticules, on engraisse