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disait-il, que sa vie ne fût livrée à un désespoir abrutissant. Depuis cette époque de rêves enchanteurs et de larmes vaines, il avait vu Jeanne devenir mère de douze enfans. Dans sa prospérité comme dans sa douleur, elle avait toujours trouvé dans M. Parquet un digne voisin et un ami dévoué.

L’excellent homme était rempli de finesse et de pénétration. Il devina plutôt qu’il ne découvrit le secret de Simon. Il lui arracha enfin l’aveu de ses dettes et de son embarras pour l’avenir. Alors l’emmenant dans son cabinet, à la ville :

— Tiens, lui dit-il en lui mettant un portefeuille dans la main, voici une somme de dix mille francs que je viens de recevoir d’un riche, pour lui en avoir fait gagner autrefois quatre cent mille. C’est une aubaine sur laquelle je ne comptais plus, le client s’étant ruiné et enrichi deux ou trois fois depuis. Personne ne sait que cette somme m’est rentrée, pas même ma fille ; garde-moi le secret. Il n’est pas bon qu’un jeune homme laisse dire qu’il a reçu un service. La plus noble chose du monde, c’est de l’accepter d’un véritable ami ; mais le monde ne comprend rien à cela. Peut-être qu’un autre t’eût proposé de te compter une pension, ou de payer tes lettres de change. Ce dernier point est contraire à mes principes d’ordre, et quant au premier, je trouve qu’il en coûte assez à ton orgueil d’accepter une fois. Renouveler cette cérémonie, serait te condamner à un supplice périodique. Tu as du cœur, tu as de la modération ; cette somme doit te suffire pour passer à Paris plusieurs années, à moins que tu ne contractes des vices. Songe à cela ; c’est ton affaire. Tout ce que je te dirais à cet égard n’y changerait rien. Dieu te garde d’une jeunesse orageuse comme la mienne !

Simon, étourdi d’un service si considérable, voulut en vain le refuser en exprimant ses craintes de ne pouvoir le rendre assez vite.

— Je te donne trente ans de crédit, répondit Parquet en riant ; tu paieras aux enfans de ma fille, avec les intérêts, si tu veux. Je ne cherche point à blesser ta fierté.

— Mais s’il m’arrive de mourir sans m’acquitter, comment fera ma mère ?

— Aussi je ne te demande pas de billet, reprit l’avoué d’un ton brusque ; ni ta mère ni mes héritiers n’en sauront rien. Allons, va-t-en, en voilà assez ; sache seulement que je ne suis ni si géné-