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dant il demeura aussi attaché à la foi catholique qu’il est possible de l’être à un homme de ce monde. Le souvenir des vertus de son oncle, le spectacle de la sainte vieillesse de sa mère, lui restèrent sous les yeux comme un monument sacré devant lequel il devait passer toute sa vie en s’inclinant et sans oser porter un regard d’examen profane dans le sanctuaire. Il eut donc soin de cacher à Jeanne les ravages que l’esprit de raisonnement et de scepticisme avait faits en lui. Chaque fois que les vacances lui permettaient de revenir passer l’automne auprès d’elle, il veillait attentivement à ce que rien ne trahît la situation de son esprit. Il lui fut facile d’agir ainsi sans hypocrisie et sans effort. Il trouvait chez cette vénérable femme une haute sagesse et une poétique naïveté, qui ne permettaient jamais à l’ennui ou au dédain de condamner ou de critiquer le moindre de ses actes. D’ailleurs, un profond sentiment d’amour unissait ces ames formées de la même essence, et jamais rien de ce qui remplissait l’une, ne pouvait fatiguer ni blesser l’autre. Dans leur ignorance des besoins de la civilisation, Jeanne et Simon s’étaient crus assez riches pour vivre l’un et l’autre avec les douze cents livres de rente légués par le curé ; la moitié de ce même revenu avait suffi à la première éducation du jeune homme, l’autre avait procuré une douce aisance à la sobre et rustique existence de Jeanne ; mais Simon, qui désirait vivement aller étudier à Paris, et qui déjà se trouvait endetté à Poitiers, après deux ans de séjour, éprouva de grandes perplexités. Il lui était odieux de penser à abandonner son entreprise, et de retomber dans l’ignorance du paysan. Il lui était plus odieux encore de retrancher à sa mère l’humble bien-être qu’il eût voulu doubler au prix de sa vie. Il songea sérieusement à se brûler la cervelle ; son caractère avait trop de force pour communiquer sa douleur ; Féline l’ignora, mais elle s’effraya de voir la sombre mélancolie qui envahissait cette jeune ame, et qui, dès cette époque, y laissa les traces ineffaçables d’une rude et profonde souffrance.

Heureusement, dans cette détresse, le ciel envoya un ami à Simon. Ce fut son parrain, le voisin Parquet, un des meilleurs hommes que cette province ait possédés. Parquet était natif du village de Fougères, et bien que sa charge l’eût établi à la ville dans une maison confortable, achetée de ses deniers, il aimait à venir passer les trois jours de la semaine dont il pouvait disposer, dans la mai-