Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
REVUE DES DEUX MONDES.

esprits et des poètes célèbres, Bacon et Thomas Morus, Surrey et Spenser. Les grandes choses et les grands hommes se pressaient de toutes parts : des familles allaient semer dans les bois de la Nouvelle-Angleterre les germes d’une indépendance fructueuse ; des provinces brisaient le joug de leurs oppresseurs, et se plaçaient au rang des nations. Sur les trônes après Charles-Quint, François Ier, Léon x, brillaient Sixte-Quint, Élisabeth, Henri iv, dom Sébastien, et ce Philippe qui n’était pas un tyran vulgaire. Parmi les guerriers, on comptait don Juan d’Autriche, le duc d’Albe, les amiraux Veniero et Jean-André Doria, le prince d’Orange, les deux Guise, Coligny, Biron, Lesdiguières, Montluc, La Noue ; parmi les magistrats, les légistes, les ministres, les politiques, L’Hôpital, Harlay, Du Moulins, Cujas, Sully, Olivanez, Cécil, d’Ossat ; parmi les prélats, les sectaires, les savans, les érudits, les gens de lettres, saint Charles Borromée, saint François de Sales, Calvin, Théodore de Bèze, Buchanan, Tycho-Brahe, Galilée, Bacon, Cardan, Kepler, Ramus, Scaliger, Étienne, Manuce, Just Lipse, Vidal, Baronius, Mariana, Amyot, Montaigne, Du Haillan, Bignon, De Thou, d’Aubigné, Brantôme, Marot, Ronsard et mille autres ; parmi les artistes, Titien, Paul Véronèse, Annibal Carrache, Sansovino, Jules Romain, le Dominiquin, Palladio, Vignole, Jean Goujon, le Guide, Poussin, Rubens, Van-Dyck, Vélasquez : Michel-Ange avait voulu attendre, pour mourir, l’année de la naissance de Shakespeare. Loin d’être un chef de civilisation rayonnant au sein de la Barbarie, Shakespeare, dernier-né du Moyen-Âge, était un Barbare se dressant dans les rangs de la civilisation en progrès, et la rentraînant au passé. Il ne fut point une étoile solitaire ; il marcha de concert avec des astres dignes de son firmament, Camoëns, Tasse, Ercilla, Lope de Vega, Caldéron ; trois poètes épiques et deux tragiques du premier ordre.

Shakespeare s’éleva sous la protection de cette reine qui envoyait le matelot chercher au bout du monde la richesse du laboureur. Assez de paix et de gloire florissait dans l’intérieur de l’Angleterre, pour qu’un poète chantât en sûreté, sans toutefois que la société manquât au dedans et au dehors de spectacles propres à remuer l’ame et à échauffer la pensée.

Élisabeth offrait en sa personne un caractère historique. Shakespeare avait vingt-trois ans lorsque Marie Stuart fut décapitée. Né