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été probablement un poète remarquable, s’il n’eût entrepris d’exploiter commercialement l’article théâtre. Aussi fait-il de bonnes affaires littéraires en Allemagne, mais en Allemagne seulement.

La Mort du Tasse est une de ces tragédies de commerce, traitées adroitement, mais où l’on chercherait inutilement un nœud et des caractères. L’action se passe entre quatre personnages : le Tasse, le cardinal Ludovico d’Este, la belle Léonora, et Antonio, familier du duc Alfonso. Celui-ci ne paraît pas. Au premier acte, le cardinal, qui aime beaucoup le Tasse, s’enquiert avec intérêt de son état en arrivant à Ferrare. Antonio, l’homme d’affaires, pratique et positif, lui raconte que le poète s’est montré arrogant et insolent outre mesure, et qu’on a été obligé de l’enfermer. Grande dissertation où le cardinal excuse le Tasse qu’Antonio inculpe toujours. La question est de savoir si le poète et l’artiste méritent plus de ménagemens que les autres hommes. Ludovico, en Mécène puissant et généreux, se prononce pour l’affirmative ; Antonio, l’homme de dépendance et de servitude, prétend que l’artiste ne fait, en créant, qu’un acte d’égoïsme, puisqu’il se complaît à lui-même ; et que le monde, loin de lui devoir de la reconnaissance, fait beaucoup pour lui, en le mettant à même d’obéir à son imagination. Il se fait, à cette occasion, une grande dépense d’esprit, de subtilités et de belles images. Deux thèses de même nature se traitent avec des moyens semblables, dans deux autres conversations que le cardinal a, d’abord avec sa sœur Léonora, puis avec le Tasse en prison. Ludovico annonce au poète qu’il est libre et qu’il va l’accompagner à Rome où les soins de l’amitié achèveront de le calmer. À Rome, Tasse, heureux de sa liberté, redevient pourtant aigre et injuste comme devant, jusqu’à ce que l’arrivée de Léonora et l’annonce de son couronnement par le pape, en l’exaltant jusqu’au délire, lui portent un coup mortel. Revenu à lui, il a recouvré toute sa raison et demande pardon à tout le monde, même à Antonio, qui se trouve être un fort honnête homme, nullement ennemi du Tasse. Pourtant, cet Antonio est trop pratique, pour moi qui aime bien certains hommes pratiques ; je le soupçonne fort d’être attaché aujourd’hui à la rédaction de la Preussische Staats-Zeitung. J’oubliais de dire que le Tasse reçoit alors un aveu d’amour très mystique de la part de la princesse Léonora, et qu’il meurt divinement en écoutant cette douce confession.

Les caractères de cette tragédie sont tout de fantaisie. Les puissans de la terre y ont une générosité, un laisser-aller, des ménagemens affectueux bien rares, sinon sans exemple, Tasse est, dans sa folie, ergoteur, dur et presque ingrat. L’histoire est tellement incertaine, que cela a bien pu être ainsi ; mais, en, ce cas, M. Raupach est malheureux d’avoir écrit sa