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ques forteresses qu’un siége plus ou moins long allait rendre à leur ancienne souveraineté. Le péril pour la maison d’Autriche ne viendrait plus de la France, mais de la Russie : on avait appris aux Russes le chemin du midi de l’Europe, ils s’en souviendraient. La France, avec une certaine constitution de forces, une certaine étendue territoriale, était nécessaire à l’équilibre européen. L’Autriche débarrassée de ses dangers en Allemagne, en Italie, pouvait sans crainte prêter aide et secours à l’empire français menacé, et c’est sans doute cette considération qui favorisa l’ouverture des négociations avec M. de Saint-Aignan au commencement de 1814.

À cette époque un principe fatal pour Napoléon, avait été admis, c’est que les puissances alliées ne traiteraient pas les unes sans les autres. L’arrivée de lord Castelreagh sur le continent favorisa cette tendance vers un but commun. Cependant combien les faits étaient peu en harmonie avec ces touchans manifestes d’union et d’indivisibilité qui formaient le thème obligé de tous leurs actes et de toutes leurs proclamations ? Les premiers succès au-delà du Rhin firent naître entre les alliés deux sortes de questions : question territoriale qui se rattachait à la nouvelle circonscription de l’Europe ; question morale sur la forme de gouvernement qu’on devrait donner à la France au cas où les armées alliées occuperaient Paris. Il est évident que, sur ces deux points, l’Autriche et l’Angleterre n’avaient pas les mêmes intérêts que la Prusse et la Russie.

Sur le premier point, les conquêtes des armées alliées étaient immenses. La Russie occupait la Pologne, la Prusse la Saxe, l’Autriche une grande portion de l’Italie. L’empereur Alexandre prétendait ériger la Pologne en une sorte de souveraineté sous son protectorat. Ici il blessait les intérêts autrichiens. La Prusse attaquait également ces intérêts en voulant s’arrondir par la Saxe. Dès le début de la campagne, ces dissidences s’étaient produites, et ce que l’histoire ne sait pas assez, c’est que le lendemain même de la déclaration de l’Autriche à Prague, il y eut déjà bien des aigreurs et des récriminations à l’occasion du choix du généralissime ; après de vifs débats le prince de Schwartzenberg fut nommé à ce poste, qu’ambitionnait l’empereur Alexandre. Sur la question de gouvernement en France, les opinions semblaient aussi divisées. D’abord il était impossible de supposer que l’Autriche adhérât à un projet de changement dans la dynastie, lorsqu’une archiduchesse gouvernait l’empire français. L’empereur Alexandre avait des engagemens particuliers avec Bernadotte. L’Angleterre seule appelait la maison de Bourbon ; mais elle n’en faisait pas une condition