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Si je ne suis pas resté trop au-dessous de la tâche qui m’était imposée ; si j’ai surtout fait ressortir, comme je le désirais, l’importance et la nouveauté de l’admirable loi des interférences lumineuses, Young est maintenant à vos yeux l’un des savans les plus illustres dont l’Angleterre puisse s’enorgueillir. Votre pensée, devançant mes paroles, voit déjà dans le récit des justes honneurs rendus à l’auteur d’une aussi belle découverte, la péroraison de cette notice historique. Ces prévisions, je le dis à regret, ne se réaliseront pas. La mort d’Young a eu dans sa patrie très peu de retentissement. Les portes de Westminster, jadis si accessibles à la médiocrité titrée, sont restées fermées à l’homme de génie qui n’était pas baronnet. C’est au village de Farnborough, dans la modeste tombe de la famille de sa femme, que les restes de Thomas Young ont été déposés. L’indifférence de la nation anglaise pour des travaux qui devaient tant ajouter à sa gloire est une bien rare anomalie dont on doit être curieux de connaître les causes.

Je manquerais de franchise, je serais panégyriste et non historien, si je n’avouais qu’en général Young ne ménageait pas assez l’intelligence de ses lecteurs ; que la plupart des écrits dont les sciences lui sont redevables, pèchent par une certaine obscurité. Toutefois, l’oubli dans lequel ils ont été long-temps laissés, n’a pu dépendre uniquement de cette cause.

Les sciences exactes ont sur les ouvrages d’art ou d’imagination un avantage qui a été souvent signalé. Les vérités dont elles se composent traversent les siècles sans avoir rien à souffrir ni des caprices de la mode, ni des dépravations du goût. Mais aussi, dès qu’on s’élève dans certaines régions, sur combien de juges est-il permis de compter ? Lorsque Richelieu déchaîna contre le grand Corneille une tourbe de ces hommes que le mérite d’autrui rend furieux, les Parisiens sifflèrent à outrance les séides du cardinal despote et applaudirent le poète. Ce dédommagement est refusé au géomètre, à l’astronome, au physicien, qui cultivent les sommités de la science. Leurs appréciateurs compétens dans toute l’étendue de l’Europe, ne s’élèvent jamais au nombre de huit à dix. Supposez-les injustes, indifférens, voire même jaloux, car j’imagine que cela s’est vu, et le public, réduit à croire sur parole, ignorera que d’Alembert ait rattaché le grand phénomène de la précession des équinoxes au principe de la pesanteur universelle ; que Lagrange soit parvenu à assigner la cause physique de la libration de la lune ; que depuis les recherches de Laplace, l’accélération du mouvement de cet astre se trouve liée à un changement particulier dans la forme de l’orbite de la terre, etc., etc. Les journaux de sciences,