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une maison, dans la langue parlée, par un mot totalement différent de celui qu’ils prononcent aujourd’hui. Ce résultat vous surprend-il ? songez à nos chiffres qui sont aussi des hiéroglyphes. L’idée de l’unité ajoutée sept fois à elle-même s’exprime partout, en France, en Angleterre, en Espagne, etc., à l’aide de deux ronds superposés verticalement et se touchant par un seul point ; mais en voyant ce signe idéographique, le Français prononce huit ; l’Anglais eight ; l’Espagnol ocho. Personne n’ignore qu’il en est de même des nombres composés. Ainsi, pour le dire en passant, si les signes idéographiques chinois étaient généralement adoptés, comme sont les chiffres arabes, chacun lirait dans sa propre langue les ouvrages qu’on lui présenterait, sans avoir besoin de connaître un seul mot de la langue parlée par les auteurs qui les auraient écrits.

Il n’en est pas ainsi des écritures alphabétiques :


Celui de qui nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,


ayant fait la remarque capitale, que tous les mots de la langue parlée la plus riche se composent d’un nombre très borné de sons ou articulations élémentaires, inventa des signes ou lettres, au nombre de vingt-quatre ou trente, pour les représenter. À l’aide de ces signes, diversement combinés, il pouvait écrire toute parole qui venait frapper son oreille, même sans en connaître la signification.

L’écriture chinoise ou hiéroglyphique semble l’enfance de l’art. Ce n’est pas toutefois, ainsi qu’on le disait jadis, que, pour apprendre à la lire, il faille, en Chine même, la longue vie d’un mandarin studieux. Rémusat, dont je ne puis prononcer le nom sans rappeler l’une des pertes les plus cruelles que les lettres aient faites depuis long-temps, n’avait-il pas établi, soit par sa propre expérience, soit par les excellens élèves qu’il formait tous les ans dans ses cours, qu’on apprend le chinois comme toute autre langue. Ce n’est pas non plus, ainsi qu’on l’imagine au premier abord, que les caractères hiéroglyphiques se prêtent seulement à l’expression des idées communes ; quelques pages du roman Yu-kiao-li, ou les Deux Cousines, suffiraient pour montrer que les abstractions les plus subtiles, les plus quintessenciées, n’échappent pas à l’écriture chinoise. Le principal défaut de cette écriture serait de ne donner aucun moyen d’exprimer des noms nouveaux. Un lettré de Canton aurait pu mander par écrit à Pékin, que le 14 juin 1800, la plus mémorable bataille sauva la France d’un grand péril ;