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vision, que ce réseau, si bien tissu, où le raisonnement et les plus ingénieuses expériences se prêtent sans cesse un mutuel appui, n’occupe pas encore dans la science le rang distingué qui lui appartient ; mais, pour expliquer cette anomalie, doit-on nécessairement recourir à une sorte de fatalité ? Young aurait-il donc été, comme lui-même le disait souvent avec dépit, une nouvelle Cassandre proclamant sans relâche d’importantes vérités que ses contemporains ingrats refusaient d’accueillir ? On serait moins poétique, et plus vrai, ce me semble, en remarquant que les découvertes d’Young n’ont pas été connues de la plupart de ceux qui auraient pu les apprécier : les physiologistes ne lisent pas son beau mémoire, car il suppose plus de connaissances mathématiques qu’on n’en cultive ordinairement dans les facultés ; les physiciens l’ont dédaigné à leur tour, parce que, dans les cours oraux, ou dans les ouvrages imprimés, le public ne demande plus guère aujourd’hui que ces notions superficielles dont un esprit vulgaire se pénètre sans aucune fatigue. Dans tout ceci, quoi qu’en ait pu croire l’illustre Young, nous n’apercevons rien d’exceptionnel : comme tous ceux qui sondent les dernières profondeurs de la science, il a été méconnu de la foule ; mais les applaudissemens de quelques hommes d’élite auraient pu le dédommager. En pareille matière, on ne doit pas compter les suffrages, il est plus sage de les peser.

La plus belle découverte du docteur Young, celle qui rendra son nom à jamais impérissable, lui fut suggérée par un objet en apparence bien futile, par ces bulles d’eau savonneuse, si vivement colorées, si légères, qui, à peine échappées du chalumeau de l’écolier, deviennent le jouet des plus imperceptibles courans d’air. Devant un auditoire aussi éclairé, il serait sans doute superflu de remarquer que la difficulté de produire un phénomène, sa rareté, son utilité dans les arts, ne sont pas les indices nécessaires de l’importance qu’il doit avoir dans la science. J’ai donc pu rattacher à un jeu d’enfant la découverte que je vais analyser, avec la certitude qu’elle ne souffrirait pas de cette origine. En tout cas, je n’aurais besoin de rappeler, ni la pomme qui, se détachant de sa branche et tombant inopinément aux pieds de Newton, éveilla les idées de ce grand homme sur les lois simples et fécondes qui régissent les mouvemens célestes ; ni la grenouille et le coup de bistouri auxquels la physique a été récemment redevable de la merveilleuse pile de Volta. Sans articuler, en effet, le nom de bulles de savon, je supposerais qu’un physicien eût choisi, pour sujet de ses expériences, l’eau distillée, c’est-à-dire un liquide dont la diaphanéité est devenue proverbiale, et qui, dans son état de pureté, ne se revêt