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tesque et drapé, un formulaire de cérémonies puériles, et l’homme de bonne maison y jouissait d’une supériorité incontestable.

L’ambassadeur avait alors trente-trois ans ; sa physionomie était noble et distinguée ; il paraissait à toutes les fêtes de la cour, se faisait remarquer par l’élégance de ses équipages et par de grandes dépenses. Jeune, brillant, doué d’un esprit fin, d’une parole facile, M. de Metternich passait pour un homme à bonnes fortunes. On se l’arrachait à la cour ; les dames de l’intimité impériale, et les princesses même, sœurs de Napoléon, n’étaient pas tout-à-fait indifférentes aux hommages du noble ambassadeur d’Autriche.

Dirai-je une de ces mille aventures qui retentirent alors dans les salons de Paris ? Napoléon avait pris en grand goût les bals masqués ; il en commandait partout : chez le grave archi-chancelier, à l’opéra et même chez le ministre de la police. L’étiquette du palais était gênante, compassée ; dans le bal masqué, on s’en débarrassait. La police, comme on le sent, présidait à ces fêtes ; Fouché, le ministre roué et moqueur, était chargé non-seulement de veiller à la sûreté de l’empereur, mais encore de ces petites malices que Napoléon faisait à ses courtisans, ou que Fouché lui-même inventait pour se donner le plaisir de rappeler à tous ces dignitaires de l’empire qu’ils avaient un peu trop oublié leur origine républicaine. Un jour il montrait au prince archi-chancelier, si aristocrate, si grand seigneur, la figure de Louis xvi en cire ; le lendemain il faisait donner quelques leçons à des royalistes récalcitrans. Voici ce que l’on racontait. Dans une de ces grandes réunions masquées, un domino aborda très cavalièrement un général chargé d’un des grands départemens militaires. « Sais-tu ce qui se passe chez toi, toi si souvent appelé à veiller sur les autres ? Écoute, retourne à ton hôtel ; tu connais le salon bleu et le secrétaire de ta femme, cherche et tu trouveras. » Le pauvre général, idolâtre de sa femme, part comme un trait, enfonce le secrétaire, et découvre un paquet de lettres parfumées, aux armes d’Autriche, espèce de sachet d’amour, qu’une main indiscrète venait violer… Le monde de cette époque se rappelle la suite de l’aventure, le départ précipité, et par ordre militaire, de la jeune et spirituelle complice de la chancellerie allemande.

M. de Metternich aimait les femmes pour les plaisirs et les distractions qu’elles donnent ; il se livrait à cette douce police politique, qui passait par le cœur pour arriver aux secrets du cabinet. Ses formes séduisantes lui avaient gagné aussi les bonnes grâces de Napoléon, qui aimait à le distinguer dans la foule des ambassadeurs, à causer avec lui, tout en lui reprochant d’être bien jeune pour représenter une