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fut brillante ; de long-temps Madrid n’avait vu de fêtes si splendides. Les étrangers en furent frappés ; nous citons les étrangers, parce que les indigènes sont un peu suspects d’hyperbole et d’enchantement national. Ornée avec un goût noble et sévère, la vaste Plaza Mayor avait été disposée pour une course de taureaux où les anciennes formes furent scrupuleusement observées et l’ancien costume ressuscité. La grandesse y déploya une pompe inusitée, une pompe écrasante, car elle parut, hélas ! bien dégénérée, bien chétive sous ses toques à plumes et ses manteaux de satin. Surprise par la nuit, la fête se termina aux flambeaux, et l’illumination fut si soudaine, si saisissante, que l’effet en est vivant encore dans la mémoire des spectateurs. On eut là comme une réminiscence de l’antique magnificence espagnole, et l’on put un instant se croire transporté aux fêtes chevaleresques d’une autre Isabelle et d’un autre Ferdinand.

Un évènement attendu de jour en jour avec une légitime impatience, un évènement heureux vint combler la publique ivresse ; le 29 septembre, trois mois après la Jura, Ferdinand mourut. Cette fois il ne ressuscita pas, il était bien mort ; et puis, ne l’eût-il pas été plus que l’autre, nulle main certes n’eût été déclouer sa bière pour l’en faire sortir. Qu’il y dorme en paix s’il peut, mais qu’il y reste ! tel fut le cri public, telle fut l’oraison funèbre que les plus démens lui décernèrent. Nous n’y ajouterons rien, pour notre part ; seulement nous nous demandons parfois, avec une perplexité questionneuse, quelles peuvent être les destinées de telles ames dans une autre économie. Si la métempsycose de Pythagore était vraie, la réponse serait facile, nous savons bien où elles iraient ; mais dans le grand doute qui travaille le monde, où chercher les solutions du problème ? où sont les oracles de l’infini ? pourquoi de tels êtres sur la terre ? pourquoi les trônes sont-ils à eux ? Dans le silence de ces inquiétans mystères, on ne consent à se rassurer un peu qu’en voyant le bien sortir du mal et le mal même servir le progrès. Mais c’est là toujours une condition dure ; cette loi d’alternative et d’oscillation fait bien des victimes ; la roue écrase en passant bien des générations. Malheur aux générations transitoires ! Malheur aux générations sacrifiées ! Ici du moins, et c’est une consolation, si la traversée fut longue