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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

barrasser les candidats ; mais quatre mois d’examen devaient lui avoir formé une conviction ; et puisque la loi consacrait le principe de la pairie à vie, il était naturel de penser que le ministère, dont les membres penchaient autrefois pour un avis contraire, avait subitement changé d’opinion. Nullement ; M. Périer était toujours pour l’hérédité ; seulement il venait proposer à la chambre de faire une loi dans le sens opposé. Il reconnaissait que la théorie, que l’expérience étaient pour ce principe, qu’il était l’appui le plus solide de la royauté, le meilleur garant de la liberté. C’étaient là ses termes ; sa conviction était bien arrêtée en faveur de ce principe, et pour conclusion, il l’abandonnait. Cette étrange abdication de volonté plaçait les partis dans une situation bien bizarre. Le mot était donné aux orateurs ministériels ; ils devaient attaquer le projet, tandis que l’opposition s’apprêtait à le défendre. Selon le président du conseil, qui prononça à ce sujet un discours fort spirituel, qu’on attribue à M. de Rémusat, il n’agissait pas d’après sa propre conviction ; c’était un acte de résignation dont il fallait l’applaudir. Les partisans de l’hérédité lui devaient surtout des actions de grâce, puisqu’il leur fournissait les moyens de soutenir cette question sans passer pour des ministériels ; et de son côté, l’opposition ne lui devait pas moins de remerciemens, car il lui donnait l’occasion de soutenir ses principes, sans avoir à combattre contre lui. Ainsi cette étrange doctrine n’admettait pas qu’il y eût une conviction quelque part. On faisait des projets de loi, on les portait à la chambre, on les défendait, on les faisait soutenir ou attaquer, le tout comme on fait une partie d’échecs, pour gagner quelques points à son adversaire. Cette morale politique convenait admirablement à M. Thiers. Aussi se présenta-t-il le premier pour remplir son rôle dans cette comédie.

Le discours de M. Thiers avait été annoncé huit jours d’avance à la chambre et aux journaux. On savait que M. Thiers travaillait à une pièce d’éloquence, et la représentation était fixée au lundi ; mais elle n’eut lieu que le lendemain. M. Thiers arriva de bonne heure à la chambre, contre sa coutume, ce qui fit prévoir que son discours serait long. Il avait une toilette recherchée, et il portait des gants ! Il était évident que M. Thiers voulait produire