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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

cas où nous serions attaqués, nous aurions besoin de moyens extrêmes. La liberté ne veut ni de l’anarchie ni de la tyrannie ! — Cette distinction entre les deux nations de 1795 et de 1830, était à la fois simple et profonde. M. Thiers, l’homme de la nation nouvelle, n’y avait pas songé.

Je dois vous dire, monsieur, qu’à cette époque M. Thiers était très décrié dans la chambre, non pas à cause des rumeurs qui s’étaient répandues faussement, mais surtout à cause de l’ardeur avec laquelle il avançait des faits controuvés, et de son cynisme quand on lui prouvait ses erreurs, je me sers d’un terme honnête. En matière d’administration, M. Thiers ne procédait que par des chiffres et des documens. Comme on savait que les bureaux lui étaient ouverts, et que tous les renseignemens étaient à sa disposition, on l’écouta d’abord avec une crédulité dont il dut souvent rire. Je me souviens d’un jour où il écrasa l’opposition par les faits qu’il lui opposa, dans une violente discussion au sujet des fonctionnaires placés et destitués par la révolution de juillet. Il compta le nombre des préfets et des sous-préfets nommés, conservés ou mis à la retraite ; pas un seul n’était oublié, et si M. Thiers connaissait aujourd’hui à fond le personnel du ministère de l’intérieur comme il semblait alors le connaître, il serait assurément un grand ministre. L’opposition ne sut que dire ; les centres applaudirent avec fureur, et M. Périer fut dans l’allégresse du triomphe de M. Thiers. M. Périer, homme d’état véritable, se plaignait souvent de la jactance, de l’étourderie et de la légèreté du jeune député ministériel, il trépignait souvent de colère quand il l’entendait dire à la tribune, nous, en parlant du ministère ; et un jour que M. Mauguin avait désigné M. Thiers, dans un discours, sous le nom d’orateur du gouvernement, M. Périer, hors de lui, s’était écrié d’un air de dédain, et assez haut pour que M. Thiers put l’entendre : « Ça un organe du gouvernement ! M. Mauguin se moque de nous ! » Et M. Périer avait tort, car M. Thiers recevait de lui deux mille francs par mois, sur les fonds secrets ; mais cette fois il l’avoua, et hautement. Eh bien ! le jour suivant, l’opposition, ayant consulté sa correspondance et pris des renseignemens dans les bureaux du ministère, il se trouva que les faits avancés par M. Thiers étaient faux. Les journaux et les