Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
LE CAPITAINE RENAUD.

Puis il tressaillit, il pâlit, et me regarda tranquillement et avec attendrissement ;

— Dites-moi !… ne pourriez-vous me fermer la bouche ? Je crains de parler… On s’affaiblit… Je voudrais ne plus parler… J’ai soif.

On lui donna quelques cuillerées, et il dit :

— J’ai fait mon devoir. Cette idée-là fait du bien.

Et il ajouta :

— Si le pays se trouve mieux de tout ce qui s’est fait, nous n’avons rien à dire ; mais vous verrez…

Ensuite il s’assoupit et dormit une demi-heure environ. Après ce temps, une femme vint à la porte timidement, et fit signe que le chirurgien était là ; je sortis sur la pointe du pied pour lui parler, et, comme j’entrais avec lui dans le petit jardin, m’étant arrêté auprès d’un puits pour l’interroger, nous entendîmes un grand cri. Nous courûmes et nous vîmes un drap sur la tête de cet honnête homme qui n’était plus…


Cte  Alfred de Vigny.


M. de Vigny nous a autorisé à publier ce fragment du dernier livre d’un volume divisé, comme Stello, en trois parties : les deux premières sur la pesante servitude des armées en temps de paix, la troisième sur leur grandeur. Dans cette triple composition[1], dont la forme, créée par l’auteur, paraît être celle qu’il préfère à toutes, chaque livre renferme un épisode, chaque épisode est un roman complet qui, précédé de considérations graves, prouve et appuie l’idée principale du livre : idée consolante pour l’homme de guerre, dans la rigueur de sa destinée, comme Stello le fut pour le poète.

Le troisième livre, dont nous avons cité la plus grande partie, est consacré aux souvenirs de grandeur militaire, et adressé par M. de Vigny aux officiers de la garde royale, ses anciens compagnons d’armes.

« Vous que j’ai tant vus souffrir des langueurs et des dégoûts de la

  1. Servitude et Grandeur militaires, 1 vol. in-8o, qui paraîtra dans quelques jours chez Félix Bonnaire, rue des Beaux-Arts, 10, et Victor Magen, quai des Augustins, 21.