Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/681

Cette page a été validée par deux contributeurs.
675
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

meurs, des commis de boutique, commandés par des journalistes, que les gamins de Paris enfin, ne fussent pas écrasés par la puissance des forces régulières. M. Thiers se mêla hardiment à la lutte, tant qu’il ne fut question que de résistance légale ; il resta ferme à son poste du National jusqu’au dernier instant, je veux dire qu’il partit au moment où le vieux Benjamin Constant arriva, quand l’appel du tambour et le bruit de la fusillade lui donnèrent le signal de la retraite. Le premier jour de cette brusque révolution, M. Thiers rédigea une protestation pour les journalistes, tandis qu’ailleurs M. Guizot rédigeait une protestation pour les députés ; il fut de toutes les assemblées, de tous les conseils où l’on délibéra sur les moyens les plus propres à faire retirer les ordonnances ; l’avis qu’il ouvrait était de suspendre partout l’action civile ; il invitait les avocats à ne pas plaider, les juges à cesser de rendre la justice, les notaires, les officiers judiciaires à interrompre le cours de leurs fonctions ; il voulait, en quelque sorte, paralyser le pays et réduire le pouvoir à lui demander grâce. C’est ainsi, disait-il, que les choses se passaient quelquefois dans les anciens temps, quand la cour exilait les parlemens ; c’est ainsi qu’on la forçait à revenir sur ses décisions brutales. Mais tandis que M. Thiers rapetissait la lutte, et la réduisait aux proportions d’une querelle de cour et de parlement, elle grandissait à vue d’œil, et de Fronde que M. Thiers la voulait, elle se faisait Ligue, et quelque chose de mieux. C’est alors que M. Thiers fléchit ; l’affaire n’était plus à sa taille.

M. Thiers revint à Paris avec l’ordre et le calme. On a fait beaucoup de conjectures sur ses démarches extra muros pendant ces trois journées ; je pourrais aussi me faire l’historien de ce petit voyage ; mais à quoi bon, monsieur ? Le principal est que M. Thiers est revenu, et que nous le possédons encore à cette heure.

M. Thiers jeta de côté le National, ce second degré de sa fortune ; on le nomma conseiller d’état, et il demanda au duc d’Orléans et au baron Louis, devenu ministre des finances, l’autorisation de remplir, sans titre, les fonctions de secrétaire-général de ce ministère. M. Thiers s’était essayé, en fait de finances, dans une brochure sur Law et son système, qu’il avait publiée sous la