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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

tionnel. On accusa M. Laffitte de cet acte de générosité dont M. Laffitte était bien capable. Pour Schubart, vous pensez bien qu’on s’avisa d’autant moins de soupçonner son intervention dans ce changement de fortune, que l’état de ses affaires empirait chaque jour, à mesure que s’amélioraient celles des deux jeunes écrivains. La progression a même été si constante et si soutenue des deux côtés, que l’an dernier, M. Thiers étant depuis long-temps au faîte de la grandeur et de la prospérité, je rencontrai, par une brûlante journée d’été, le long du Rhin, sur la route de Cologne, un pauvre homme que le chagrin et le délaissement avaient privé d’une partie de sa raison. On le ramenait tristement dans sa famille et dans sa ville natale. Cet homme, qui me regarda avec des yeux égarés et sans me reconnaître, lui que j’avais vu si souvent avec M. Thiers, c’était Schubart, le plus humble, le plus dévoué et le plus oublié des amis.

Mais déjà le Constitutionnel ne suffisait plus à M. Thiers, qui s’apercevait bien qu’il s’agirait prochainement d’autre chose que d’une lutte contre l’influence des curés et des desservans de paroisse, et qu’il faudrait des paroles plus puissantes et plus élevées que le texte ordinaire du vieux adversaire des jésuites. Un autre libraire, plus brillant, plus jeune et moins désintéressé aussi que le vieux Schubart, M. Sautelet, échauffa M. Thiers de la pensée de fonder un nouveau journal politique. Toute la jeunesse instruite et libérale que repoussait l’esprit exclusif et arriéré du Constitutionnel, et que le pédantisme étroit du Globe avait écartée, applaudit à cette pensée, et se mit en mouvement pour la faire fructifier. Comme on avait mis sur le compte de M. Laffitte l’achat de l’action du Constitutionnel que possédait M. Thiers, on ne douta pas qu’il ne fût l’un des principaux actionnaires du nouveau journal. Parmi les actionnaires secrets, on nommait M. de Talleyrand, quelques pairs influens du côté gauche, et un prince que le National a bien servi en effet, mais qui n’a pas plus contribué à sa fondation que M. le duc de Dalberg et le prince de Talleyrand. Pour M. Laffitte, il acheta une demi-action, dont il ne tarda pas, je crois, à se défaire. Cotta seul aida M. Thiers en cette circonstance, mais tous les bruits qui couraient, donnèrent une grande importance au journal nouveau.