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l’attention. Une fois accordée, M. Thiers savait bien la retenir, car rien ne lui semblait étranger, ni les finances, ni la guerre, ni l’administration, et il discutait sur toutes ces matières d’une façon assez spécieuse et assez spirituelle pour séduire les banquiers, les anciens fonctionnaires de l’empire et les généraux qu’il abordait sans façon. Aussi, peu de mois après son arrivée à Paris, M. Thiers était-il devenu le commensal assidu de M. Laffitte ; et sa place était marquée à la table du baron Louis, qui a toujours exercé une grande influence dans le monde politique. M. Mignet, l’ami de M. Thiers, avait été admis parmi les rédacteurs du Courrier Français, où figuraient alors, entre autres, Benjamin Constant et M. Kératry ; et M. Thiers lui-même participait à la rédaction du Constitutionnel.

Le Constitutionnel représentait fidèlement l’esprit du parti libéral en France ; on y continuait l’œuvre des encyclopédistes. Condorcet, Helvétius, Voltaire, mais Voltaire surtout, étaient les dieux qu’on y révérait. Quand les idées philosophiques se faisaient jour à travers les discussions politiques du Constitutionnel, elles apparaissaient sous l’autorité de Cabanis, de Garat, de Volney et de Destutt de Tracy. L’école sensualiste du xviiie siècle s’était bâti là une immense citadelle d’où elle foudroyait le spiritualisme qui commençait timidement à lever la tête dans les brefs et rares écrits de M. Royer-Collard et de M. Cousin. L’histoire était représentée par M. Dulaure, cet antiquaire pessimiste, à qui les monumens nationaux inspiraient, non des regrets et des souvenirs, mais de la fureur et de la rage ; qui portait l’esprit de destruction révolutionnaire dans la science dont il espérait sa gloire, et qui s’appliquait à abattre la religion des ruines, comme Cabanis à détruire la religion de la pensée. Les armes que fournissaient ces doctrines étaient, il est vrai, les seules qui fussent appropriées au combat qui se livrait. La restauration détournait la tête avec dégoût quand on lui parlait des droits inscrits dans la Charte ; elle semblait trouver trop amer ce calice que lui avait présenté le peuple, et chaque jour elle faisait un pas en arrière, vers les idées et les principes antérieurs à la révolution. Quand les écrivains du Constitutionnel virent que le gouvernement de la restauration se plaçait sur le terrain de l’ancien régime, ils l’imitèrent et vinrent