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ment contre le président de la chambre, qu’on ne doute plus de sa nomination.

— La princesse de Lieven continue de résider à Paris, et son hôtel est devenu le point de réunion de la diplomatie. Cette dame a acquis beaucoup d’influence parmi les hommes éminens, par l’empressement qu’elle met à se rapprocher de la société française, et l’enthousiasme qu’elle exprime hautement pour la France. Les réunions de la princesse de Lieven remplaceront les fêtes que M. de Pahlen devait donner cet hiver, et que l’article du Journal des Débats a fait suspendre, sans doute pour long-temps. La maison de Mme de Lieven et celle de Mme de Flahault verront donc l’élite de la société de Paris. Mme de Lieven et Mme de Flahault affectent de ne pas fréquenter le salon de M. le ministre de l’intérieur.


— Depuis bientôt trois mois la province enlève à la capitale les plus beaux fleurons de sa couronne dramatique ; chacun des applaudissemens enthousiastes qui accompagnent le succès de Mme Dorval dans les rôles d’Adèle, de Catarina, de Kitty Bell, doit retentir comme un reproche dans le cœur des Parisiens. Rien ne peut peindre les transports de joie de ces heureux privilégiés ; les éloges brûlent les colonnes du feuilleton. Les Bretons y perdent leur sang-froid. Ces apparitions rapides de nos bons artistes dans les provinces ont d’immenses résultats pour les destinées de l’art ; Mme Dorval est le missionnaire du romantisme ; elle révolutionne toutes ces âmes candides ; elle les ébranle, les transforme, y fait pénétrer par de larges ouvertures le sentiment de l’art ; elle attise bien des flammes qui sommeillaient sous une enveloppe terne et dure, et son passage en Belgique et en Bretagne laissera de profonds souvenirs ; mais c’est surtout dans le rôle de Kitty Bell, si empreint de résignation chrétienne et de suave mélancolie, que Mme Dorval a déployé toute sa sensibilité et toute son énergie. C’est aussi ce rôle qu’elle avait choisi pour faire ses adieux au public nantais, dans une représentation donnée au bénéfice des indigens. L’affluence des spectateurs était considérable : au moment où elle prononça ces mots : « Donner aux pauvres, c’est prêter à Dieu, » une pluie de couronnes, de bouquets, de fleurs, tomba aussitôt sur la scène, et l’actrice fut en quelque sorte ensevelie dans son propre triomphe, comme dirait un père de l’église.

Aux applaudissemens qui ont accueilli Mme Dorval, répondent ceux de Toulouse, de Béziers, de Marseille ; à qui s’adressent-ils ? à un autre grand artiste, à celui qui a créé Antony, Didier, Buridan. Ces deux gloires sont sœurs.


F. Buloz.