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saurait trop regretter sans doute sa mort prématurée ; mais il était modeste, et il eût bien rougi, s’il eût vu son nom écrit si près des noms révérés de Camoëns et de Milton. Quant à ces deux grands poètes, ils auraient eu en effet, comme le Tasse, comme Cervantès et tant d’autres, quelque raison de se plaindre de la vie ; mais enfin ils ne l’ont pas fait, ou du moins, à eux tous, ces grands hommes ont versé moins de larmes sur eux-mêmes, ils ont laissé moins de plaintes, moins de soupirs rimés, que le plus heureux des poètes de nos jours !

D’où vient donc ce luxe de douleur et cette ostentation de gémissemens ? Nous n’avons pas l’honneur de connaître M. Chaudes-Aigues ; mais à la lecture de ses vers, nous gagerions bien qu’il n’est pas aussi malheureux qu’il le croit par momens. Il n’a guère plus de vingt ans, il nous le dit lui-même ; il a des loisirs et de l’esprit, il faut l’un et l’autre pour faire des vers aussi coquets que les siens sans inspiration bien vive ; il connaît la plupart des hommes de talent de notre époque, les vers qu’il leur adresse en font foi ; et quand on a lu son volume, on sait de plus quelle blanche main a fait son portrait et quelle jolie pipe il a sur sa cheminée, sans cesse environnée de billets doux. Que faut-il de plus, sinon pour être heureux, du moins pour n’avoir pas à se plaindre du sort, en l’an de grâce 1835 ?

Ajoutons qu’il y a, dans ce recueil de vers, assez de qualités pour faire espérer de l’avenir de l’auteur, s’il arrive à corriger l’exagération de ses pensées, et à dessiner plus correctement des formes moins indécises. Le dessin, voilà ce qu’il doit étudier le plus ; le coloris viendra, il est déjà à peu près satisfaisant. Nous avons remarqué quelques sonnets bien faits ; c’est de la poésie intime suffisamment vraie pour avoir du charme, et qui ne manque ni de grâce, ni d’harmonie. Seulement quelques réminiscences involontaires trahissent çà et là l’imitation de M. Sainte-Beuve, et c’est toujours, sinon un tort, du moins une témérité, de rappeler les œuvres du maître, quand on est loin de pouvoir les faire oublier.


(La suite à une prochaine livraison.)