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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

robuste, on creuse le sol profondément, et l’on y rencontre la mine d’or. Ainsi, au lieu de gémir à la surface, ô poète ! si tu as de fortes ailes, prends ton vol ; monte, monte, et, dans cet horizon agrandi, plonge ton regard au cœur du siècle. Interroge-le sur sa destinée, sa signification, son idéal ; scrute cette vie instinctive et involontaire qui circule en de secrètes veines, qui, reliant cet âge au passé qu’il désavoue, le mène où il ne songe point à aller. Vois-tu au point de sa concentration la pensée qui rayonne à la surface en mille et mille accidens ; le Dieu inconnu qui fait tout mouvoir, et se dégage laborieusement de sa forme antique par le travail de l’humanité ? Sais-tu maintenant le secret des combats et des ruines ? Sais-tu où vont ces mages qui, sur la foi d’une étoile vue à l’orient, ont brisé leurs vieux autels ? Comprends-tu ce pélerinage, par une nuit froide et obscure, où chaque pas, chaque souffrance est un acte de foi, chaque blasphème un élan vers Dieu ? Si tu as vu et compris, traduis tout cela dans un symbole qui soit glorieux, mais où transpirent les hontes et les douleurs de la réalité.

Ainsi la réalité brisée en mille accidens et l’idéal, telle est ici, comme partout, la double voie qui s’offre à l’artiste. Mais la réalité a des faces connues ; il est des points de vue restreints d’où le siècle lui-même s’est considéré : gardons-nous de ceux-là. À quoi bon refaire les romans de l’abbé Voisenon, de Crébillon fils, les petits vers, les correspondances privées, les mémoires du temps ? De même, reproduire les immortelles images que certains hommes ont tracées d’eux, serait une œuvre mesquine et folle. Il nous semble même que la vie réelle des Montaigne et des Rousseau, qui ont fait les Essais et les Confessions, ne peut être abordée qu’au travers du symbole. Sans doute, Raphaël peut encore être peint d’après Raphaël ; mais c’est à condition qu’il soit transfiguré.

En disant que l’œuvre qui nous a suggéré ce long préambule, le Baron d’Holbach, est venue échouer sur cet écueil, nous aurons presque tout dit. Cette jeune fille si pâle et insignifiante qui, échappée du couvent, se réfugie au foyer du baron d’Holbach, la forteresse des philosophes, ce n’est, à vrai dire, que le prétexte du roman. Elle n’apparaît, fort heureusement, que de loin en loin, et l’auteur lui-même, si je ne me trompe, s’en soucie peu. Ce qu’il a voulu, c’est un cadre quelconque où il pût réunir et faire mouvoir les personnages les plus éminens de l’époque : Grimm, Diderot, d’Alembert, Marmontel, Suard, la marquise du Deffant, Mme d’Épinay, la Dubarry, Louis xv à son lit de mort, tant de noms, qu’il serait fastidieux de les énumé-