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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

d’Holbach et son époque ne seraient-ils pas des sujets de roman ? Le xviiie siècle, il est vrai, pour nous, hommes qui entrons aujourd’hui dans la maturité, est le souvenir d’une âcre déception. Plusieurs, à quinze ans, l’ont béni, qui, plus tard, lorsqu’ils ont senti se tarir leur sève, leurs os se fondre, leurs ailes brûlées au feu de ses alambics, l’ont maudit. Ceux-là peuvent encore le comprendre et avouer ce qu’il eut de nécessaire et d’excellent ; mais ils en ont trop souffert pour ne pas toujours frissonner à son souvenir ; jamais ils ne l’aimeront. Mais est-ce à dire que de plus jeunes, nés dans l’intelligence et la foi où nous espérons mourir, de plus jeunes qui n’auront pas été, comme nous, étouffés dans son étreinte et mordus de ses mille morsures, qui verront de haut ce que nous avons vu d’en bas, ne pourront ni l’aimer, ni le chanter ? Est-ce à dire que ce siècle soit sans poésie ? Faut-il absolument au poète des angles gigantesques, une végétation bouillonnante sous un ciel chaud trempé de rosée et de pluie ; l’embonpoint d’une nature plantureuse, chevelue, à la fois fraîche et ardente, féconde sans s’apauvrir, au sein de laquelle s’agite et bruisse une création variée à l’infini et fortement contrastée ? Faut-il absolument des Alpes, les deltas des grands fleuves, des forêts vierges ? Le désert de Sahara uni, dépouillé, aride et brûlant, n’a-t-il donc pas sa poésie ? N’a-t-il rien, lorsqu’il s’étale au soleil et jette sous le vent le cri sec et aigu de ses sables qui s’entrechoquent, rien qui, dans l’ame du poète, se puisse transformer en un chant ?

Oui, le xviiie siècle est une époque de haute poésie, et, quel que soit à son égard notre sentiment particulier, nous concevons tel poète à qui ce siècle plaise entre tous. Sans doute cette poésie a sa manifestation dans les monumens de l’époque ; elle doit s’y retrouver entière : oui, mais éparse, obscure, ignorée de l’écrivain même, invisible jusqu’à nous, et à présent encore invisible à tous, hors au poète. Qu’il frappe donc le rocher de sa baguette, et l’eau jaillira. Oh ! désabusez-vous, si vous croyez que Voltaire, Rousseau, Diderot, Gilbert, aient tout dit sur eux-mêmes et sur leur temps. Quel enfant s’est jamais dit ce qui se passe en lui de scènes merveilleuses ? Or, l’humanité, à divers égards, est toujours mûre, toujours décrépite et toujours enfant. D’ailleurs, aussi long-temps qu’elle marchera, aura-t-elle jamais un point de vue définitif ? Ainsi, chez ces hommes du xviiie siècle, qui se sont tant regardés et tant racontés, combien de germes enveloppés qui travaillent à leur insu ! combien de secrets mouvemens qui étonnent, et dont peut-être l’on rougit, éclairs sans nom, sourds désespoirs, cris effarés que l’on ne redit pas, ou qui, pour être intelligibles, se travestissent