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choc des passions opposées s’y fait entendre avec je ne sais quel cliquetis qui fait tressaillir comme celui des épées. Mais le plan général du livre est conçu bien faiblement ; les caractères, mal étudiés, sont loin d’être soutenus ; l’action n’aboutit pas ; l’intérêt, d’abord assez vif, languit bientôt et ne renaît que bien tard. En somme, le Conseiller d’état mérite d’être distingué au milieu de ce déluge de productions éphémères qui n’ont, comme les carottes et les œufs, d’autre valeur que celle de répondre aux besoins de la consommation quotidienne du public. Mais est-ce assez pour M. Frédéric Soulié ? Son livre se sépare-t-il assez de cette foule de livres vulgaires ? et son passé littéraire ne nous donne-t-il pas le droit d’attendre bien mieux de lui à l’avenir ?

Nous n’analyserons pas ce livre. Nous l’avons dit, c’est par le plan qu’il pèche ; ce serait le faire connaître par son plus mauvais côté. Nous préférons en citer quelques passages, où l’auteur retrace avec beaucoup d’ame le tableau de Paris pendant les journées de juillet. Par le temps qui court, ces souvenirs sont douloureux sans doute ; mais il est bon néanmoins de ne pas les laisser trop long-temps étouffés au fond des cœurs par le dégoût du présent :


« …… Pourquoi, à la première ligne de ce Moniteur, distribué à six heures du matin, chacun alla-t-il aussitôt éveiller sa femme et ses enfans, pour leur lire ces ordonnances, dont sans doute ils ne comprenaient pas la portée, mais dont il semblait qu’il fallait donner avis à sa famille, comme d’une catastrophe au ciel qui pouvait changer la face du monde ? Pourquoi, quand chaque maison se trouva ainsi éveillée, chaque homme se hâta-t-il de sortir de chez lui, et alla-t-il aborder son voisin, qu’il n’avait jamais salué, pour lui demander s’il savait la nouvelle ? Pourquoi, de là, courut-on chez tous ses amis pour leur crier : Debout ! Pourquoi se répandit-on dans les rues pour se montrer et regarder ? D’où vient qu’on se crut autorisé à entrer dans des maisons où on n’avait jamais eu accès, pour dire : Me voilà ! qu’on se donna des rendez-vous aux journaux, comme au Forum, sans y être connu ; qu’on encombra les cafés où l’on s’abstenait d’aller ; qu’il se trouva des milliers de crieurs pour tous ces journaux improvisés, et qui désobéissaient à l’autorité ; que la police demeura inerte devant cette première protestation ; que des hommes, emprisonnés sur parole dans des maisons de santé, s’échappèrent pour être de ceux qui étaient libres à cette heure ; qu’on oublia toute affaire d’intérêt personnel, et que chacun vint s’offrir aux autres en se recommandant à tous ? C’est qu’il y eut un premier et universel mouvement de surprise, qui eut besoin de l’attes-