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historiens médiocres ne manquent pas de faire ressortir ces oppositions ; le vulgaire est plus frappé des différences et des contrastes que de l’harmonie et de l’unité : mais que d’uniformité réelle à travers ces diverses transformations ! La conquête de l’Angleterre et celle de la Sicile ne doivent pas se séparer des invasions de pirates qui les avaient précédées au viiie et au ixe siècle. Au commencement du dixième, les Normands semblent, il est vrai, changer d’existence ; ils se fixent les uns sur la Loire, les autres sur la Seine : mais leur mouvement n’est que ralenti, et non pas arrêté. Leur établissement de Normandie n’est qu’une halte ; car, à peine fixés, les voilà qui repartent. Cinquante ans après Rollon, une de leurs bandes guerroie déjà en Italie ; ils fondent la principauté d’Averse dès l’an 1030 ; puis vient presque aussitôt la fortune inouie des fils de Tancrède de Hauteville ; et, à peine Robert Viscart, le héros de cette race, a-t-il fait la conquête de Naples, que nous voyons partir des côtes de Normandie l’expédition de Robert Crespin contre les Sarrasins d’Espagne, et que Guillaume-le-Bâtard envahit l’Angleterre. Ainsi, cette célèbre expédition d’Angleterre n’est qu’un épisode de l’histoire des Normands, un fait du même genre que ceux qui l’avaient précédé ou qui l’accompagnèrent. On dirait que le duc de Normandie, voyant qu’un de ses chevaliers s’était fait duc de la moitié de l’Italie, voulut, pour ne pas déchoir, monter plus haut et se faire roi : la conquête de Guillaume suivit presque immédiatement celle de Robert Viscart.

Robert Viscart, ou Guiscard, c’est-à-dire Robert-l’Avisé ou le Rusé, (de wise, esprit), fait dans l’histoire, il faut en convenir, une moins magnifique figure que Guillaume-le-Bâtard. La conquête de Naples paraît d’abord un bien moindre évènement que la conquête de l’Angleterre. C’est que cette dernière fut accompagnée d’une émigration bien plus considérable du peuple conquérant. Les aventuriers normands qui se firent comtes, ducs et rois en Italie, n’avaient avec eux qu’un petit nombre de compagnons ; ces familles ne formèrent donc pas, comme en Angleterre, une race superposée sur une autre race. Leur action se perd dans la vie générale de l’Italie. C’est pour cela que cette conquête n’a pas le même relief que la conquête d’Angleterre. Mais, sous tout autre rapport, la fondation du royaume de Naples par les fils de Tancrède est un évènement aussi considérable que la victoire de Guillaume sur les Saxons. Cette fondation devint en effet la clé de toute la politique des papes. C’est en s’appuyant sur Naples que les papes purent enfin lutter avec succès contre les Gibelins et l’Empire ; c’est par l’appât de cette couronne qu’ils attirèrent les Français en Italie ; c’est en en dis-