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distances disparaissent devant des moteurs nouveaux. Ce principe, qui appartient autant à l’ordre intellectuel qu’à l’ordre politique, ne peut manquer d’influer sur l’organisation future du monde, et l’esprit libéral, qui préside aux relations intérieures des peuples, pénétrera le droit international qui en a trop rarement reçu l’empreinte.

Peut-être n’est-ce pas non plus une simple illusion d’homme de bien que d’attendre des progrès de la raison publique et de l’expérience des cabinets plutôt que des chances de la guerre, ces améliorations progressives. La guerre est aujourd’hui plus difficile et plus décréditée qu’on ne pense ; l’on commence à douter de son efficacité, et à comprendre qu’il ne lui est guère plus donné d’arrêter le mouvement naturel des nations qu’à l’inquisition d’empêcher celui des idées.

Que la France poursuive donc avec une énergique confiance le pacifique et conciliant système qu’elle a eu l’honneur de fonder au milieu des circonstances les plus terribles ; qu’elle apprenne à estimer à leur juste valeur les lentes et glorieuses victoires de la civilisation et de l’expérience, préparées dans le silence des cabinets, et que Dieu ne fait pas payer aux peuples au prix des larmes et du sang de générations entières ; qu’un respect profond pour les droits des autres préside toujours à sa politique, et qu’elle ne renverse que là où la Providence aura déjà prononcé ; qu’elle se pénètre de cette mission modératrice à laquelle la convient sa position, son génie et ses plus honorables souvenirs. C’est ainsi qu’elle pourra retarder l’instant des conflagrations européennes, et faire ambitionner aux nations une alliance qui doit fixer leurs destinées. Qu’enfin, si la main de Dieu laisse, au jour de la colère, échapper la guerre générale comme la plus redoutable des épreuves, que la France y entre le plus tard possible, libre de tout engagement, et se refusant à lier son sort à des intérêts qui lui sont étrangers ; que son gouvernement descende hardiment au fond de cette question d’Orient qui semble contenir en germe toutes les autres, et qu’il ose seul, s’il le faut, avoir raison contre les préjugés de tous.


Louis de Carné.