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questions de famille, ne défendit la Saxe, et n’intervint dans les arrangemens de l’Italie, que sous le seul rapport de l’honneur dynastique. La légitimité des familles princières, indépendamment de celle des nations, telle fut la base et la règle de son action politique ; se contentant d’un rôle d’apparat, dont la théâtrale grandeur plaisait à Louis xviii à peine rétabli au trône de ses ancêtres, elle se tint pour quitte envers elle-même et envers le monde, parce que, au prix de l’abandon de la Pologne, elle conservait un lambeau de royaume à la maison de Saxe, alliée de la maison de Bourbon, et qu’en livrant Venise à l’Autriche et Gênes à la Sardaigne, elle rendait à un Bourbon le trône des Deux-Siciles. Ce ne sera pas nous qui hésiterons à payer un juste hommage à l’habileté dont usa le représentant de la France pour dissoudre la coalition qui durait encore à l’ouverture des conférences de Vienne, et qu’avaient cimentée trois années de combats heureux, après tant d’années d’humiliation. M. de Talleyrand plaça, dès l’origine, la grande nation, dont les plus chers intérêts lui étaient confiés, sur un pied d’égalité qu’on semblait d’abord disposé à contester ; mais sans diminuer à cet égard la part d’influence appartenant à l’ambassadeur lui-même, il est bon de rappeler cependant que la France n’était pas à l’ouverture du congrès, comme au 20 novembre 1815, sous le coup de l’occupation qui suivit la sanglante catastrophe de Waterloo. L’ordre soudainement rétabli, les finances se restaurant par la paix, le crédit consolidé, l’armée se réorganisant avec rapidité sur ce sol que cent batailles n’avaient pas épuisé ; cet enthousiasme des premiers jours, qui cachait sous des fleurs l’abîme entr’ouvert ; cet enivrement de chevaleresque féauté pour les uns, de liberté constitutionnelle pour les autres, auxquelles on revenait après un despotisme de quinze années ; tout cela avait subjugué les vainqueurs même. Les rancunes prussiennes, les rudes instincts du Nord, s’étaient amollis dans l’atmosphère de notre brillante capitale.

La France portait donc au congrès une autorité que rehaussèrent, sans la créer, les talens et le nom de son ambassadeur : elle pouvait beaucoup, infiniment plus qu’on ne le croit en général, et bien plus peut-être qu’elle ne le croyait elle-même ; car on ne saurait expliquer que par l’ignorance de ses ressources, ou l’ignorance de ses devoirs, son inaction et son imprévoyance.

Son gouvernement était dans une situation d’autant plus favorable, que la France, dont la position avait été réglée par le traité du 30 mai, n’avait nulle prétention à faire valoir pour elle-même dans ce vaste partage de dépouilles. La nation avait renoncé sans trop de répugnance