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au milieu des nations ces États-Unis d’Amérique qui protègent seuls aujourd’hui la liberté maritime du monde, et qu’une politique haineuse et sans portée croyait possible de maintenir éternellement à l’humble rang de colonies. La France a noblement rempli son rôle ; et si cette république, ambitionnant une influence plus éclatante, aspirait à prendre pied sur le continent européen, elle combattrait, sans doute, de telles prétentions comme contraires à la nature des choses : qu’il en soit de même pour la Russie. Comprenons bien qu’il est tel agrandissement de cet empire que nous devons être les derniers à combattre, parce que nous serons les premiers à en profiter ; qu’il est tel autre auquel il importerait de résister à outrance. C’est ainsi, par exemple, que la conquête de la Finlande, qui annule toute l’influence extérieure de la Suède, devait être considérée d’un autre point de vue que la conquête de la Bessarabie. Un jour viendra où l’on pourra dire, sans être accusé de paradoxe, que la Russie, occupant l’île d’Aland, d’où elle menace Stockholm, est moins à sa place que la Russie à Constantinople.

La décomposition de l’empire ottoman soulève, du reste, et de toutes parts, d’innombrables questions. Elles ont été récemment remuées avec hardiesse par un homme qui, sur cette terre de ruines et d’espérances, a évoqué à la fois le passé et l’avenir. Le monde semble, en effet, destiné à se retremper à son berceau, et l’on dirait qu’en retardant une inévitable catastrophe, la Providence donne à l’Europe le temps de mûrir ses idées et d’embrasser l’horizon qui se déroule devant elle. Si la raison des peuples et des gouvernemens ne prépare pour ces évènemens une issue pacifique, si les traditions routinières l’emportent, on aura la guerre avec les longs désastres qu’elle entraînera pour l’Europe et pour l’Asie.

« Cette guerre finie de lassitude, rien de ce qu’on aura voulu empêcher ne sera empêché ; la force des choses, la pente irrésistible des évènemens, l’influence des sympathies nationales et des religions, la puissance des positions territoriales, auront leur inévitable effet. La Russie occupera les bords de la mer Noire et Constantinople ; l’Autriche se répandra sur la Servie, la Bulgarie et la Macédoine, pour marcher du même pas que la Russie ; la France, l’Angleterre et la Grèce, après s’être disputé quelque temps la route, occuperont l’Égypte, la Syrie, Chypre et les îles ; l’effet sera le même ; seulement des flots de sang auront été versés sur terre et sur mer. Des divisions forcées, arbitraires, faites par le hasard des batailles, auront été substituées à des divisions rationnelles de territoires ; des colonisations utiles auront perdu