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en élevant Saint-Pétersbourg contre Stockholm, Copenhague et Varsovie. Il conquérait ainsi plus que des provinces, il créait plus qu’une capitale, car il fondait la civilisation de son peuple. D’ailleurs, quelle que fût la pénétration de Pierre-le-Grand, il ne pouvait avoir, en face de la puissance des Ottomans, encore imposante, ni le secret de leur faiblesse, ni celui de sa propre force. Le vainqueur de Pultawa faillit trouver des Fourches Caudines au bord du Pruth, où il dut signer une paix désastreuse, et l’on ne pouvait entretenir du temps d’Achmet les pensées que l’on conçoit sous Mahmoud. Les préoccupations de la Russie, avant de se détourner sur l’Orient, devaient donc se porter sur l’Europe. Ce fut par son contact avec elle que Pierre grandit dans l’opinion, et qu’il avança son œuvre immense. Sous Élisabeth et sous Pierre iii, le gouvernement russe porta dans les affaires d’Allemagne des vues tellement incohérentes, qu’on put le croire animé beaucoup moins de l’espoir de s’assurer des avantages matériels que du désir de peser à tout prix dans la balance. Il n’y eut plus sous Catherine, Paul Ier et Alexandre, de question occidentale qui n’attirât les Russes sur l’Oder et sur le Rhin.

Mais aujourd’hui cette civilisation est acquise à l’immense empire du nord. Moscou en est le siége comme Paris ; elle descendrait sur Constantinople à l’instant où le patriarche élèverait dans Sainte-Sophie une hostie consacrée. Le contact immédiat avec l’Europe, indispensable pour former une armée et s’assurer une considération extérieure, est donc, sous ce rapport, d’une moindre importance pour l’empire russe qu’au temps de son fondateur. Les motifs qui portaient ce prince à dépouiller la Suède, et Catherine ii à provoquer le partage de la Pologne, n’existent plus au même degré, puisque la Russie à Constantinople ne serait pas moins puissance européenne prépondérante, dût-elle, pour prix d’une si magnifique conquête, signer, dans le sérail des sultans, l’indépendance de Varsovie.

La Pologne épuisée sommeille : il peut dépendre de l’Europe que ce soit dans son berceau et non dans sa tombe. L’Europe ne doit-elle rien à ce peuple ? ne se doit-elle rien à elle-même ? Que si le devoir de réparer une grande iniquité la laisse insensible, qu’au moins le soin de sa propre sûreté la touche. Personne ne croit sans doute à la possibilité de reporter la frontière russe à Smolensk ; mais il serait des arrangemens à prendre, autant dans l’intérêt de tous que dans l’intérêt de ce grand empire lui-même. Le premier besoin d’une puissance en voie de progrès est une domination bien assise, et la Pologne ne s’agitera-t-elle pas des siècles encore sous l’oppression étrangère ? Un peuple