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rieurs de sa civilisation, de ses richesses et de son industrie, seraient arrêtés ; c’est par là qu’elle respire, c’est par là qu’elle pourrait mourir. Le canal du Bosphore et des Dardanelles est à la fois le véhicule de ses richesses et la clé de sa prison. Ouvrez cette mer, et la Russie devient industrielle, commerciale, maritime ; elle met en valeur les riches produits de ses magnifiques provinces méridionales ; elle retrouve le prix de tous ses sacrifices, de toutes ses avances, de toutes ses corruptions ; fermez-la, la Russie s’éteint, car c’est mourir que de vivre dans une geôle, que de végéter sans grandir.

Ces faits sont constans, irréfragables, et c’est avec toute raison que l’autocrate s’écriait dans le manifeste qui précéda la dernière guerre : Le Bosphore est fermé, notre commerce est anéanti ! La ruine des villes russes qui doivent leur existence à ce commerce devient imminente, et les provinces du midi sont privées de l’unique débouché de leurs produits, de l’unique communication maritime qui peut, en facilitant les échanges, faire fructifier le travail, développer l’industrie et la richesse.

Si d’aussi hautes paroles avaient besoin de commentaire, il nous suffirait d’emprunter une observation péremptoire à la statistique : « En 1815, dit M. Moreau de Jonnès, la Russie faisait, dans les ports d’Odessa et de Tanganrok, un commerce d’importation et d’exportation de 60,000,000. La fermeture de la mer Noire fit soudain cesser la prospérité de ces deux villes ; et les différends de la Russie et de la Porte firent perdre dans ce seul marché, à la première de ces puissances, un commerce excédant 180,000,000 pour une simple suspension de trois années[1]. »

Il est donc reconnu en fait, et surabondamment établi de l’aveu des écrivains anglais, qu’il s’agit ici pour la Russie de l’une de ces questions capitales sur lesquelles un peuple ne saurait transiger sans engager l’avenir des générations, sans manquer aux lois de son développement naturel : question de vie ou de mort, plus encore que d’ambition, car il n’est point ambitieux le jeune homme qui aspire à la maturité de ses forces et de ses facultés, et c’est un devoir, plus encore qu’un droit, pour les peuples, de faire fructifier les dons que leur a dispensés la Providence.

    effendi au gouverneur du port de Constantinople. Les Dardanelles, a dit le comte Nesselrode, sont pour vous une question importante ; pour nous, elles sont une question vitale. — C’est la clé de ma maison, disait Alexandre. (L’Angleterre, la France, la Russie et la Turquie.)

  1. Le Commerce au xixe siècle, tom. ier, ch. vii.