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toutes les ambitions rivales, qu’il serait possible de présenter la formation d’un grand état grec comme une barrière contre une puissance qui compte près de soixante millions de sujets[1]. Que les poètes se contentent d’avoir Athènes pour capitale de la Grèce restaurée, et qu’ils n’ambitionnent pas Constantinople. Un empire grec, à raison des sympathies religieuses de ses sujets, de sa faiblesse politique et de la corruption de ses agens, serait dans une dépendance encore plus étroite de la Russie, que celle où languit aujourd’hui la Porte. Il en serait de même de ces petits états qu’on a quelquefois présentés comme devant s’élever sur les ruines de l’empire ottoman.

Ces idées de la restauration ne sont plus guère de mise en 1835, et le temps a vraisemblablement convaincu M. l’abbé de Pradt qu’il en est à peu près de même de l’alliance universelle, si long-temps indiquée par lui comme unique sauvegarde contre l’ambition moscovite. Lorsque tous les princes de l’Allemagne ont emporté de Tœplitz un regard de l’autocrate comme une espérance, on doit, ce semble, reconnaître que l’espoir d’armer l’Europe entière contre la Russie est désormais une pure chimère, et que si jamais les dispositions des cabinets changeaient à cet égard, le sort de l’empire ottoman serait décidé long-temps avant que cette ligue ne fût assise.

L’Europe s’agite dans les limites arbitraires tracées à Vienne par l’ambition et l’imprévoyance. Comment s’étonner dès lors que quelques cabinets inclinent vers la puissance destinée à briser tôt ou tard un état territorial tout factice, et qui distribuerait sans doute dans l’occasion de ces magnifiques récompenses dont Napoléon savait le secret ? La Prusse à laquelle, en 1815, on refusa la Saxe qu’elle réclamait, pour lui donner les provinces rhénanes qu’elle ne demandait pas, et qui se trouve échancrée par ce qu’elle a reçu comme par ce qui lui a été refusé, la Prusse qui tourne à la fois vers Dresde et vers Hanovre des regards de convoitise, est l’alliée naturelle de la puissance qui a mis sur Byzance l’hypothèque de tout son avenir.

Des états du second ordre, auxquels le maître de l’Occident distribuera des couronnes royales, n’ignorent pas non plus qu’un jour la carte de l’Europe pourrait être refaite, non à Vienne, mais à Pétersbourg ; et la manière dont on opérait à Paris à l’époque du règlement des indemnités germaniques, a laissé de bons souvenirs. Les états, dit-on, sont menacés, comme les grandes puissances elles-mêmes, par

  1. 56,000,000 en 1834, cette population ayant augmenté d’un tiers depuis 1800. — M. Schnitzler. La Russie, la Pologne et la Finlande.