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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

riorité matérielle, devant l’idée à laquelle appartient l’empire du monde. Les races américaines se fondent à l’approche des colons, comme la cire aux rayons du soleil. Ainsi l’Europe s’étendra sur l’Afrique et sur l’Asie par la dilatation naturelle de ses forces et de ses idées. Que si de hardis réformateurs préparent cet avenir aux nations musulmanes en y fécondant les déserts, en appliquant les puissances nouvelles de l’industrie et de la science, comme beaucoup d’aveugles ouvriers de notre Europe incroyante, ils travaillent pour une œuvre dont ils n’ont pas le dernier mot, et qui ne leur profitera point.

La régénération de l’empire ottoman sous une dynastie arabe fut un rêve de quelques jours, comme la création d’un empire grec, ayant Constantinople pour capitale, fut celui de quelques années. Ce projet fut plus particulièrement défendu en France par un homme d’esprit, qui, après avoir eu le tort de trop écrire, a, dans ce moment, celui de garder un trop long silence. M. de Pradt a vécu pendant quinze ans en présence de la terreur inspirée aux esprits prévoyans par l’accroissement de la puissance russe ; il a signalé chaque pas de ses armées dans les guerres de Perse et de Turquie comme un acheminement vers l’asservissement de l’Europe ; il a démontré que déjà cette Europe, qui se croit libre, est tributaire de Pétersbourg pour une portion notable de son budget, puisque, sans la nécessité de faire équilibre à la masse des forces russes, l’état militaire européen diminuerait dans une sensible proportion[1]. Aucun écrivain français n’a mieux établi la tendance nécessaire de la Russie vers le midi, et l’impossibilité où se trouve une grande puissance commerciale de ne pas s’assurer le débouché de cette mer Noire, dont la nature a fait un lac russe vers lequel se dirige le cours de tous ses grands fleuves. Mais à ces dangers le fécond publiciste n’a jamais trouvé que deux remèdes : d’abord, la formation d’un grand empire grec, s’étendant jusqu’au Danube ; puis une alliance permanente de l’Europe contre la Russie.

Le philhellénisme est tombé, comme tous les sentimens exaltés, mais sincères, du jour où il a reçu satisfaction légitime et complète : aussi la question grecque, passée dans le domaine de la politique, ne se colore-t-elle plus de cet éclat qu’elle empruntait aux flammes héroïques des brûlots de Canaris. Ce n’est pas quand le maintien du royaume grec dans ses limites actuelles peut sembler problématique, quand il ne se conserve que par la constante tutelle des puissances garantes de son indépendance, et que le sol hellénique est un foyer d’intrigues pour

  1. Système permanent de l’Europe par rapport à la Russie. 1828.