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En Afrique, les régences ont rompu le lien nominal qui les rattachait encore au siége de l’orthodoxie religieuse ; l’Égypte est devenue le centre d’une puissance plus redoutable que celle du sultan, sans avoir peut-être plus d’avenir. La Grèce est indépendante, et un ambassadeur fanariote insulte, par sa présence, l’orgueil de la Porte Ottomane. La Moldavie et la Valachie, soumises au protectorat russe, ne contiennent plus de Turcs. La nomination de leurs hospodars à vie, l’abolition des tributs en nature, source principale pour le divan du revenu de ces provinces, la démolition de la forteresse de Giurgevo, l’établissement d’une quarantaine, sont autant de nouveaux liens, formés par le traité d’Andrinople pour préparer la réunion définitive de ces provinces à la Russie, en les rendant de plus en plus étrangères à la Porte. La Servie, délivrée par son courage et le génie d’un grand homme, forme le noyau d’un nouveau peuple, et sous les dômes épais de la Schumadia retentissent des chants de liberté que les populations voisines répètent comme des hymnes d’espérance. Cette vaste Caramanie, vieille terre de l’islamisme, a laissé passer sans résistance le rebelle contre lequel se déploya vainement l’étendard du prophète. Ibrahim y marcha de victoire en victoire ; il institua ses officiers jusque dans Smyrne ; et s’il recula devant les menaces des ambassadeurs, ce fut après avoir foulé aux pieds les ordres sacrés de son padischah.

Constantinople semble condamnée à recommencer le cours de ses hontes et de ses douleurs. On se croirait ramené aux temps durant lesquels l’empire de Constantin était chaque jour plus étroitement resserré dans ses murailles par une puissance qui trouvait alors, dans sa foi et dans son courage, la certitude de ses glorieuses destinées.

Othman, dormant sous la tente d’Edebali, avait été visité par de célestes visions : pendant que le disque argenté de la lune se jouait autour de sa tête, de ses reins s’élevait un grand arbre, dont l’étincelant feuillage s’étendait sur les trois parties du monde. Le Caucase et l’Atlas, le Taurus et l’Hémus, colonnes gigantesques, soutenaient son dôme de verdure ; le Tigre et l’Euphrate, le Nil et le Danube coulaient de ses racines. Des villes s’élevaient du fond des vallées, ornées de minarets d’où la voix du muezzin appelait les fidèles aux prières ; mais bientôt ses rameaux convergèrent comme une épée flamboyante contre la cité impériale, qui, située entre deux mers et deux continens, ressemble à un diamant placé entre deux saphirs et deux émeraudes[1].

Othman ne fit pas mentir le prodige, et dans Brouse conquise, il son-

  1. M. de Hammer.