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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

Est-il un moyen d’empêcher le développement naturel de la Russie vers le Bosphore ? Quelles combinaisons atténueraient, avec le plus de certitude et d’avantage pour l’Europe et pour la France, les dangers qui sortiraient d’un tel bouleversement dans le système territorial et maritime du monde ?

Ce n’est qu’en envisageant les évènemens d’un point de vue de chancellerie qu’on peut se faire quelque illusion sur l’issue de la catastrophe où s’engloutiront bientôt les ruines de l’empire d’Othman. La diplomatie est un monde à part, où il se dépense, bien souvent en pure perte, beaucoup d’esprit et de lumières ; la vie, trop excentrique, ne s’y confond pas assez avec la vie puissante du dehors ; à force de se considérer comme des mobiles alors qu’on n’est que des instrumens, on finit par subordonner les destinées essentielles des peuples et l’autorité des analogies historiques à l’omnipotence des protocoles. Le malheur de la diplomatie, c’est de ne pas voir assez qu’elle est traînée à la remorque des idées et des évènemens, et d’estimer les conduire alors qu’elle n’intervient que pour les sanctionner. En 1821, les chancelleries traitaient de rebelles les Grecs d’Ypsilanti et de Canaris, elles offraient leur concours à la Porte pour négocier les clauses de leur soumission ; en 1827, l’opinion les contraignait à signer le traité du 6 juillet, et Navarin jeta ses débris à travers des négociations interminables.

Ainsi sera-t-il aussi de l’affaire turque : on continuera d’épuiser à Péra le formulaire diplomatique, que déjà la révolte d’un pacha, une émeute à Constantinople, un coup de main de la Russie, ou toute autre cause aura pour jamais tranché la question ottomane. Aux mêmes lieux où l’on disputait sur la lumière du Thabor en présence de l’ennemi, l’on discutera l’équilibre de l’Europe et la clôture de la mer Noire, la veille du jour où la flotte de Sébastopol viendra mouiller à la pointe du sérail, et où le dernier des princes ottomans aura cessé de régner et peut-être de vivre.

Quelle espérance de restauration entretiendrait-on pour un peuple qui ne possède plus, à bien dire, que sa capitale, où les baïonnettes russes ont dû venir le protéger, après avoir, quatre années auparavant, menacé cette capitale elle-même. Les voyageurs cherchent le puissant empire des Osmanlis, et ne le trouvent plus. Quelques populations éparses sur d’immenses territoires, inférieures en nombre comme en intelligence aux diverses races indigènes, attestent, dans leur décroissance rapide, l’arrêt porté par cette puissance que le musulman appelle fatalité, qui pour nous a nom providence.