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REVUE. — CHRONIQUE.

la dernière qui a tort, qu’arrive-t-il ? que la grande réponse : « Pourvu qu’on plaise, » — vient fort à propos. De là le déluge ; tout le monde en a fait. Du moment qu’on s’avoue qu’un roman historique ne doit ni ne peut être vrai, il ne s’agit que du plus ou du moins, et quand un péché a son excuse, je vous demande où il peut s’arrêter. Walter Scott lui-même, patriarche un peu confiant dans une gloire européenne, parlant un matin de Plessis-lès-Tours, laissa tomber de sa plume facile que cela voulait dire Plessis avec des tours, comme qui dirait un château avec deux ou trois pavillons. Il ne se souvint pas dans ce mauvais moment que ce n’est que Plessis près de Tours, la patrie des pruneaux, et, comme le singe de La Fontaine, il prit le Pirée pour un homme. Hélas ! on en a fait bien d’autres. Sans chercher si loin que l’Angleterre, ni si haut que Quentin Durward, combien de bévues audacieuses, de mensonges volontaires, de véritables gaspillages, en un mot, ne voyons-nous pas encore tous les jours dans l’étalage de nos libraires ? Celui-là d’un monstre fait un héros ; celui-ci un sage d’un cerveau brûlé, tel autre un martyr de vertu de certain personnage suspect ; le bon Tallemand des Réaux doit bien ricaner dans sa barbe de ce qu’on lui tire des côtes. Ajoutez à cela la marotte du jour, la philosophie de l’histoire, science nouvelle qui ne va pas à moins qu’à faire un petit résumé des décrets de la Providence, et à vérifier par les dates la sagesse de Dieu. C’est ainsi que, comme Newton en délire, nous expliquons l’Apocalypse, et refaisons le chaos en le débrouillant.

Le livre nouveau écrit sur Lauzun sera, dans de telles circonstances, un sujet de réflexions pour le lecteur attentif. À part la fin de l’ouvrage, qui est forcée et invraisemblable, tout y est rigoureusement vrai. Ceux qui ont lu dans la Revue l’excellent travail de M. Nisard sur Érasme, celui de M. Henri Heine sur Luther, trouveront dans Lauzun, avec une donnée différente, un même genre de recherches. C’est à proprement parler une biographie ; c’est un roman parce que l’homme a été vraiment un héros de roman, parce que Louis xiv, Mme de la Vallière et la marquise de Montespan figurent nécessairement à côté de Lauzun, en un mot parce que c’est de lui que Labruyère a dit : « On ne rêve pas comme il a vécu. » Le livre est amusant parce qu’il est vrai, et non malgré la vérité. Le style en est vif et coloré, parce que Saint-Simon et Mme de Sévigné étaient sur la table de l’auteur lorsqu’il a fait son livre. Mais pas un mot n’y est hasardé qui ne se puisse justifier. C’est de ce mérite rare aujourd’hui qu’il faut féliciter M. Paul de Musset. Ne semblerait-il pas bizarre, aujourd’hui que le genre historique paraît si usé et si rebattu, qu’il ne fût au contraire qu’à sa naissance ? on a affublé jusqu’ici bien des mane-